Reconversion des industries d'armement

Auteurs

Rachel Lamy et Roland De Penanros

Année de publication

2022

Cet article est paru dans
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Alors que le monde est en proie à la peur d’une nouvelle guerre et se rassure avec des réponses de plus en plus militaristes, la teneur de la « sécurité » est d’une importance cruciale. Quand l’armée russe investit les locaux de la plus grosse centrale nucléaire d’Europe, nous constatons que la sécurité n’est pas forcément là où nous l’imaginions. Alors, ne faut-il pas davantage la repenser, en même temps qu’un nouvel être-au-monde ? C’est ce à quoi nous incitent des acteurs, engagés de longue date autour de ces enjeux et porteurs de propositions variées. Entre autres, celle de « reconvertir les usines d’armement. » Ont-ils les moyens de nous convaincre que cette option n’est pas idéaliste mais réfléchie, construite, expérimentée ?

Alors que le monde est en proie à la peur d’une nouvelle guerre et se rassure avec des réponses de plus en plus mi- litaristes, la teneur de la « sécurité » est d’une importance cruciale. Quand l’armée russe investit les locaux de la plus grosse centrale nucléaire d’Europe, nous constatons que la sécurité n’est pas forcément là où nous l’imaginions. Alors, ne faut-il pas davantage la repenser, en même temps qu’un nouvel être-au-monde? C’est ce à quoi nous incitent des acteurs, engagés de longue date autour de ces enjeux et porteurs de propositions variées. Entre autres, celle de « reconvertir les usines d’armement. » Ont-ils les moyens de nous convaincre que cette option n’est pas idéaliste mais réfléchie, construite, expérimentée ?

Roland de Penanros a accepté de répondre à ces questions. Il est président de l’Université européenne de la paix créée à Brest en 1991-1992 par diverses personnes qui, à la suite de la guerre froide, ont voulu réfléchir à une voie de sortie « vers le haut ». Avec des syndicalistes d’Angleterre, d’Al- lemagne, d’Italie, de Belgique et d’ailleurs, ils ont travaillé à développer d’une part des programmes d’éducation à la paix, d’autres part à la reconversion des usines d’armement. Le lien? Mettre à l’épreuve le principe selon lequel la paix ne peut pas se construire par les armes, simplement parce que ces dernières servent à détruire, à tuer.

Début 90, avec des syndicalistes du groupe Thales, ils réfléchissent à la reconversion de certains secteurs de l’entreprise de Brest. Malheureusement, à la fin de la décennie, de nombreux pays européens investissent de plus belle dans le secteur de l’armement; les projets s’effritent progressivement et les liens créés entre les divers syndicats se distendent. Les employés des usines protestent également contre cette volonté de reconversion. Certains sont formés à l’idée que, par leur métier, ils servent la nation. D’autres craignent le chômage. L’un d’entre eux répond à un militant qui l’interpelle : « Je ne veux pas mordre la main qui me nourrit. » Vient alors le moment de prouver que leurs savoirs et les moyens utilisés dans l’entreprise sont transfé- rables, dans une nouvelle orientation plus respectueuse et protectrice du « vivant ». Les membres de l’Université européenne de la paix présentent alors trois pistes possibles :

1. Faire de Brest, port d’armement naval, un port de « dé- construction navale » visant à traiter l’armement réformé civil et militaire. Face à cette question, les militants ont pu montrer qu’il est possible de relever le défi technique, de revaloriser cette post-phase souvent laissée-pour-compte du processus d’industrialisation. Un chantier, avec une cinquantaine de salariés, a pu voir le jour.

Utiliser les savoirs et compétences des professionnels de l’armement pour les développer dans les énergies ma- rines renouvelables, avec des projets d’éoliennes marines : les premières fixées au fond de la mer, les secondes dites « flottantes » (les unes et les autres produisant de l’énergie grâce aux vents). L’avantage de ces dernières? Être installées plus loin des côtes, donc moins gênantes pour les activités du littoral.

Convertir l’île Longue en centrale de production d’hydrogène verte, reliée à une hydrolienne installée à l’entrée de la rade et générant de l'électricité nécessaire à l’électrolyse de l'eau. Cette hydrolienne immergée, serait mue par la force des courants.

L’île Longue est une presqu’île, située à dix kilomètres de la ville de Brest, servant de base à la Marine nationale française pour abriter des sous-marins nucléaires lanceurs d’en- gins. Pour un ordre idées, ces derniers portent chacun seize missiles, eux-mêmes dotés de six têtes nucléaires. Un seul sous-marin est donc à lui seul 960 fois plus puissant que la bombe d’Hiroshima. Avec son stock actuel permettant d’armer trois sous-marins, la France possède la possibilité de supprimer un quart de la population mondiale. Avec les États-Unis et la Russie, nous avons de quoi détruire dix fois la vie sur la planète !

On le comprend, ces militants, qui dorment à quelques kilomètres d’une telle puissance d’anéantissement, prônent un désarmement radical en matière nucléaire, encouragent fermement la France à signer le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (Tian) et cherchent à inventer la re- conversion de ces installations. Au vu des solutions propo- sées, plus qu’une douce utopie, leur projet ressort comme raisonnable (réaliste, y compris d’un point de vue écono- mique) autant que sage, puisqu’il rappelle l’impératif de la protection des populations civiles, mais aussi de la nature.

La Société nationale des poudres et explosifs (SNPE), fabricant français de charges pour diverses munitions et explosifs, illustre que la pari est possible. Cet orga- nisme a innové et fait évoluer une partie de son activité pour fabriquer... des airbags garantissant la sécurité des véhicules civils! Aujourd’hui, l’ampleur de cette production illustre concrètement la possibilité d’une reconversion. D’autres associations mènent ailleurs cette réflexion. En Angleterre par exemple, l’association CAAT, proclame, comme tant d’autres : « Ce ne sont pas les guerres, ni les milliards de dollars dépensés pour des systèmes d’armes nucléaires et des porte-avions qui font progresser notre sécurité, mais la construction de sociétés plus justes qui soutiennent les plus vulnérables, et l’investissement dans nos services publics. » Les militants de CAAT alertent aussi sur le danger du réchauffement clima- tique, avec ses conséquences dramatiques et les risques de conflits à venir autour de l’accaparement des ressources. Leur mot d’ordre : la transition par la reconversion des usines de l’armement. Ils soutiennent que « les travailleurs des entreprises d’armement possèdent les compétences vitales nécessaires à la construction d’une nouvelle économie plus verte » (voir l’article « Time for a just transition » sur le site caat.org.uk).

De la même façon qu’à Brest, l’énergie éolienne en mer est analysée comme potentiel extraordinaire de reconversion. « Les recherches de la CAAT montrent qu’une évolution vers l’énergie éolienne et marine offshore (activités se déroulant en mer) pourrait créer plus d’emplois que l’ensemble de l’industrie de l’armement ». Outre ce potentiel d’emplois, le secteur des énergies renouvelables requiert des niveaux de compétences et des branches d’ingénieries similaires à ceux de l’armement. Il n’y aurait donc qu’un pas...

Plutôt que d’investir des milliards dans ce qui pourrait conduire à notre destruction, émerge donc la possibilité réelle de participer à la durabilité de l’environnement et de la vie. C’est le message de ces associations qui affirment l’urgence d’un positionnement rapide et clair des gouver- nants pour soutenir ces initiatives. La société civile a aussi son rôle à jouer, pour faire valoir les intérêts civiques et « faire pression » vers la reconversion. Aux États-Unis, la région métropolitaine d’Huntsville, en Alabama, compte la plus forte concentration d’ingénieurs et la deuxième plus forte concentration de travailleurs STEM (Sciences, technologie, ingénierie et mathématiques) à l’échelle nationale. La journaliste Taylor Barnes dévoile que des travailleurs du pôle militaro-industriel Marshall Space Flight Center de la Nasa quittent désormais l’économie de la défense et des armes pour celle des énergies propres et renouvelables1. Ils semblent avoir trouvé un autre moyen de « servir ainsi la nation ».

Avec eux, l’espoir de la reconversion des usines d’armement deviendra-t-il un jour réalité ?


Article écrit par Rachel Lamy et Roland De Penanros.

Article paru dans le numéro 203 d’Alternatives non-violentes.