Alain Refalo est enseignant, auteur notamment du livre Le paradigme de la non-violence : itinéraire historique, sémantique et lexicologique, Lyon, Chronique sociale, 2023.
Ziad Medoukh est directeur du département français de l’université Al-Aqsa de Gaza. Amoureux de la langue française qu’il considère comme « la langue de la paix et de l’espoir, la langue du témoignage et de la résistance », il a poursuivi ses études supérieures en France, obtenant un doctorat en didactique des langues à l’Université Paris VIII. Écrivain et poète, il a notamment publié en 2012 Gaza, Terre des oubliés, Terre des vivants, un recueil de poésies sur sa ville natale et l’amour de sa patrie. Il est le premier citoyen palestinien à avoir obtenu, en 2011, la distinction de chevalier de l’Ordre des Palmes académiques de la République française. Il a remporté le premier prix du concours Europoésie en 2014 et le prix de la poésie francophone pour ses œuvres poétiques en 2015.
Éducateur à la non-violence
Mais Ziad Medoukh est aussi un artisan de paix et un militant de la non-violence. Fondateur en 2004 du Centre de la paix, au sein de son université, il est convaincu de l’importance de l’éducation et de la non-violence comme formes de résistance. Il organise régulièrement des rencontres et des formations sur les droits humains, la démocratie, la non-violence, la tolérance et la paix, particulièrement pour les enfants et les familles, durement touchés par les bombardements depuis des années. En 2014, après la sanglante offensive militaire israélienne contre la bande de Gaza, il crée une cellule de soutien psychologique pour les enfants traumatisés, qui intervient dans les écoles, les jardins d’enfants, les centres d’accueil. Cette année-là, Ziad Medoukh est nommé ambassadeur par le Cercle universel des ambassadeurs de la paix. En 2017, il obtient le Prix international de la Fondation indienne Jamalal Bajaj, pour ses activités en faveur des jeunes et des enfants de Gaza et pour son encouragement à la résistance non-violente.
Ziad Medoukh a découvert la non-violence lorsqu’il était jeune homme durant la première intifada en 1988. Dans son livre, Être non-violent à Gaza (2019), il raconte qu’un jour, il a suivi des camarades de classe partis « lancer des pierres sur des soldats israéliens ». « Mais soudain, se souvient-il, la pierre est tombée de ma main et j’ai commencé à réfléchir à d’autres moyens de résister contre les occupants de notre terre[1]. » Il se documente, découvre Gandhi et ses principes de résistance et se promet de consacrer sa vie « à résister par l’éducation, la culture, la non-violence et le travail auprès des jeunes. »
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Sa réflexion se nourrit également de celle impulsée par Mubarak Awad, un universitaire palestinien qui avait créé dans les années 80 à Jérusalem le Centre palestinien pour l’étude de la non-violence. Il avait alors travaillé sur les possibilités d’une stratégie de lutte non-violente dans les territoires occupés. Ses idées avaient alimenté pour une part les initiatives de non-coopération et de désobéissance civile durant la première intifada. Si, à cette époque, les médias ont surtout montré des images d’enfants lançant des pierres aux soldats israéliens, il n’en reste pas moins que pour l’essentiel la résistance populaire palestinienne était non-violente : cessation de travail dans les colonies, boycott des produits israéliens, grève des impôts. Une économie parallèle se développait avec des coopératives agricoles. La solidarité interne à la société civile palestinienne était alors très forte durant les longues grèves.
Après l’échec de la seconde intifada armée durant les années 2000-2004, la lutte reposait essentiellement sur la stratégie de la non-violence. C’est dans le territoire de Gaza, sous blocus israélien depuis 2007, qu’ont eu lieu les initiatives de résistance les plus importantes, notamment depuis 2018, avec la « marche du retour ». Cette marche désormais annuelle célèbre l’anniversaire de la Nakba, c’est-à-dire l’exode palestinien de 1948 lors de la première guerre israélo-arabe.
Pendant des années, dans les territoires palestiniens, explique Ziad Medoukh, cette résistance non-violente a revêtu trois formes principales : la résistance par le travail des paysans « qui restent sur leurs terres pour cultiver les champs, malgré les tracasseries et les dangers de l’occupation », les manifestations pacifiques « contre le mur de la honte qui ont lieu régulièrement, notamment dans les villages de Bil’in et Nilin, près de Ramallah », et le boycott des produits fabriqués dans les colonies israéliennes. Ziad Medoukh reste persuadé qu’Israël redoute, plus que tout, ce type de résistance non-violente pour sa propre image sur le plan international. Il estime que « cette forme de résistance, non seulement développe la dignité humaine, mais garantit l’indépendance et la capacité à endurer les représailles et à lutter contre toutes les formes d’injustice[2] ». Pour lui, « l’option pour la non-violence demande des sacrifices, certes, elle demande aussi de la patience. Mais notre peuple est connu pour sa capacité à endurer des sacrifices pour la terre de Palestine. Et surtout il est connu pour sa patience. Depuis plus de 62 ans, notre peuple souffre et malgré tout cela, il résiste, il garde l’espoir. Oui, la vie continue en Palestine[3] ».
Après le 7 octobre
Après les massacres commis par les groupes armés du Hamas le 7 octobre 2023 en Israël, Ziad Medoukh a vu sa vie à Gaza totalement basculer. Très vite, il décide de rester dans sa ville natale auprès des siens, tandis que son épouse et ses enfants fuient vers le sud de l’enclave. « Pourquoi ai-je décidé de rester seul et de subir l’horreur, l’angoisse et l’inquiétude ? Parce que je ne veux pas vivre une deuxième Nakba, une deuxième catastrophe. Si aujourd’hui je quitte ma maison, ma ville, Gaza, je quitte la Palestine et je serai de nouveau réfugié », expliquait-il à Mediapart le 17 octobre 2023.
Le 2 décembre, une frappe détruit son immeuble. Il perd tout, ses biens, sa bibliothèque, ses souvenirs. Il devient un sans-abri comme des centaines de milliers de ses compatriotes. Il considère que rester à Gaza est une forme de résistance. « Je préfère mourir debout chez moi », souligne-t-il. Le lendemain, son frère, ingénieur agronome reconnu et investi dans la lutte contre la pauvreté, la femme de celui-ci et leurs cinq enfants meurent dans les bombardements de l’armée israélienne.
Depuis, Ziad a changé à cinq reprises de maison et de quartier. Il vit dans une maison surpeuplée avec quarante autres personnes. Il survit, parfois avec un repas tous les trois jours. Tout son quotidien est occupé à essayer de trouver de l’eau ou de la nourriture, à trouver un peu de bois, et à recharger son téléphone portable grâce à quelques panneaux solaires encore en état. Il assiste, impuissant, à la destruction de sa ville, de ses écoles, de ses hôpitaux, de ses universités. Sur son compte Facebook, il entretient la chronique macabre des blessés, des morts et de toutes les destructions colossales engendrées par les bombardements. « L’objectif de l’armée israélienne, quand elle fait une incursion, n’est pas de détruire le Hamas ou de récupérer les otages, mais de rendre Gaza inhabitable afin que les Palestiniens s’en aillent », commente-t-il.
Le 12 juillet dernier, dans un texte écrit pour le journal L’Humanité, il témoigne de la souffrance de son peuple, mais aussi de sa résilience, de sa capacité à s‘adapter et à résister. « À Gaza, confie-t-il, nous avons le choix uniquement entre mourir sous les bombes de l’occupation ou subir et souffrir dans des conditions inacceptables et inimaginables ». Il ajoute que « le seul élément qui réchauffe nos cœurs brisés est le soutien indéfectible de ces solidaires de bonne volonté partout dans le monde, notamment le soulèvement des jeunes étudiants dans les universités américaines et européennes qui réclament un cessez-le-feu immédiat et une application du droit international. » Fidèle à la non-violence, malgré les massacres commis en toute impunité, chacun de ses messages sur son compte Facebook se termine par cette antienne : « Gaza la rebelle résiste en toute dignité ! ». •
Poème
À Gaza en Palestine
Sous les bombes
La musique est lutte
L’art est combat
La culture est résilience
L’éducation est résistance
Récupérer un instrument de musique dans les décombres d’une maison détruite par les bombardements est défi.
Quand la musique exprime la colère, la souffrance, la dignité et les espérances de tout un peuple horrifié.
En Palestine, la résistance est art
La dignité chant
L’espoir création
Et la vie mélodie !
Ziad Medoukh, 25 juillet 2024
Élisabeth Maheu est membre du comité de rédaction d’ANV.
La fresque des Nouveaux Récits
Clément, des Vagabonds de l’Énergie (vagabondsenergie.org), est intervenu lors du Village des Alternatives du troisième lieu Ras’Campagne, à Bourg-Achard (rascampagne.org). Ce fut un très bon moment. Mais de quoi s’agit-il ?
Clément nous a d’abord proposé le jeu de cartes : « La fresque des Nouveaux Récits » réalisé à partir de données en anthropologie, sociologie, neurosciences, etc., et du rapport du Giec. Nous avons mieux compris l’influence des normes, les biais cognitifs, les freins ou l’art de trouver des excuses à l’inaction climatique. L’impact des récits dominants – comme la pub et son american way of life – ou bien celui des récits alarmistes sont tels qu’ils risquent de faire de nous des moutons dociles ou des fatalistes angoissés.
Pourtant, grâce à notre plasticité cérébrale et notre quête de sens, nous sommes capables de changer nos perceptions de la réalité, de résister et de défendre la vie, d’analyser les causes des problèmes et d’inventer des solutions. « Mais pour créer une société différente, il faut déjà l’imaginer » (Cyril Dion, réalisateur du film Demain).
Et c’est à cela que nous avons joué ce jour-là, dans le second temps de l’atelier. À quatre voix, nous avons produit un joyeux discours oral pour inaugurer notre village, construit autour de passages et d’espaces où les gens se croisent, communiquent et peuvent débattre confortablement de leurs différences, désaccords et désirs. Il a fallu 10 ans, avec des élans collectifs et des creux de vague, depuis le rêve de sept utopistes jusqu’à l’investissement des lieux par les habitants. En passant par un point de bascule étonnant où, avec environ dix pour cent de la population acquise à la cause, une nouvelle équipe municipale a posé les premières pierres…
Ce récit imaginaire, nous l’avons bâti en une heure ! Imaginaire ? Quoique… Peut-être avons-nous réellement fait un petit un pas supplémentaire dans notre grand voyage vers un futur désirable ! •
Pour en savoir plus et participer à un atelier, vous pouvez consulter le site www.fresquedesnouveauxrecits.org