Avec la Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique, le 4 juillet 1776, et la Révolution française, à partir de 1789, la marche des Irlandais pour l’émancipation trouve un nouveau souffle. Un long combat commence : en faveur d’un partenariat anglo-irlandais entre égaux, pour certains ; dans la perspective de l’indépendance, pour d’autres. Un mouvement composite prend corps, entre recherche de compromis par les voies légales, mobilisations populaires multiformes et tentation récurrente de la lutte armée. Les Irlandais unis choisissent la violence insurrectionnelle, en 1798 et 1803. Tout comme une partie des révolutionnaires de la Jeune Irlande, au milieu du XIXe siècle, bientôt relayés par les Fenians de la Fraternité républicaine irlandaise, créée en 1858 et intégrée à l’Irish republican army (IRA) en 1924.
David Berrué. Militant écologiste, chargé de mission au Man dans les années 2000.
Avec la Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique, le 4 juillet 1776, et la Révolution française, à partir de 1789, la marche des Irlandais pour l’émancipation trouve un nouveau souffle.
Un long combat commence : en faveur d’un partenariat anglo-irlandais entre égaux, pour certains ; dans la perspective de l’indépendance, pour d’autres. Un mouvement composite prend corps, entre recherche de compromis par les voies légales, mobilisations populaires multiformes et tentation récurrente de la lutte armée. Les Irlandais unis choisissent la violence insurrectionnelle, en 1798 et 1803. Tout comme une partie des révolutionnaires de la Jeune Irlande, au milieu du XIXe siècle, bientôt relayés par les Fenians de la Fraternité républicaine irlandaise, créée en 1858 et intégrée à l’Irish republican army (IRA) en 1924.
Pour les partisans de « l’agitation pacifique, légale et constitutionnelle », les chances de réussite de la « force physique » sont illusoires. Face à la toute puissance britannique, mieux vaut la « force morale » et la « force du nombre », professe Daniel O’Connell (1775-1847), figure du nationalisme irlandais de la première moitié du XIXe siècle. « L’homme qui commet un crime renforce son ennemi », assène le « libérateur » pour qui seul le combat parlementaire, appuyé sur des rassemblements pacifiques mettant en scène des foules immenses, peut inquiéter Londres. Il obtient la fin des « lois pénales » discriminant les catholiques en 1829, mais échoue à obtenir l’abrogation de l’Acte d’union par lequel l’Irlande, depuis 1800, est privée de souveraineté sans que son appartenance au Royaume-Uni n’ait amélioré le sort de ses habitants.
En 1845, la maladie de la pomme de terre atteint une partie de la récolte et, l’année suivante, sa totalité. C’est la Grande Famine. Elle dure cinq années. Près d’un million d’habitants meurent, aux portes de l’Angleterre. Autant émigrent. Le mouvement nationaliste marque le pas. Près de vingt ans s’écoulent avant qu’une nouvelle génération s’affirme autour de Charles Stewart Parnell.
La carrière « météorique et tragique » de ce protestant, anglophobe, est celle d’un homme « peu communicatif, orgueilleux, d’extérieur impassible » mais aussi « passionné, avide de célébrité et de pouvoir ». Son habileté consiste à habiller le fond plutôt modéré de ses propos d’une façon de les dire radicale. Avec lui, nationalisme populaire et nationalisme bourgeois s’épaulent autour de deux objectifs : le « Home Rule », c’est-à-dire l’autonomie législative de l’Irlande, d’une part, et d’autre part le transfert de la propriété foncière aux paysans irlandais. Élu à la Chambre des communes en 1875, Parnell fait du Parti national irlandais une machine disciplinée, capable de faire et défaire les majorités. Praticien obstiné de l’obstruction parlementaire, il use et abuse de son temps de parole, que le projet de loi discuté concerne ou non l’Irlande, pour dérouler ses revendications, retardant les votes. Scandale. Mais le Parlement de Westminster ne peut plus ignorer le sort des Irlandais, restés à l’écart de la prospérité victorienne.
Car l’Irlande est exsangue, ravagée par le désespoir, la pauvreté, le ressentiment. Dans les campagnes, où vit l’essentiel de la population, le dénuement est total. Les paysans subissent un système de fermage les obligeant à louer ou sous-louer leurs terres, sans perspective d’avenir. Ils sont à la merci d’aristocrates gérant leurs domaines depuis l’Angleterre, peu soucieux d’investir dans l’amélioration des rendements, expulsant leurs tenanciers au moindre défaut de paiement. En résulte une situation de violence endémique virant dans bien des cas au « terrorisme agraire ». Les paysans s’installant à la place de congénères expulsés font l’objet de représailles. Des fermes et des récoltes sont brûlées, des animaux mutilés, des paysans battus ou assassinés.
Propriétaire terrien attaché au maintien de l’ordre social, inquiet, par ailleurs, de la tournure révolutionnaire que prennent les mobilisations paysannes avec Michael Davitt, ex-Fenian issu du prolétariat rêvant d’égalité et de socialisation des sols, Parnell prend la tête de la Ligue agraire en 1879. Sous sa direction, une tactique visant à empêcher les expulsions est perfectionnée. Plutôt que de liquider les « voleurs de terres », propose Parnell, « il est un moyen bien meilleur, infiniment plus charitable et plus chrétien. Lorsqu’un homme consent à s’installer sur une ferme dont un autre a été injustement expulsé, vous devez l’éviter sur les routes et sur les chemins, vous devez l’éviter dans les rues de votre village, vous devez l’éviter dans les magasins, dans les jardins, sur les marchés, et même à l’église. En lui tournant résolument le dos, en faisant de lui un solitaire abandonné du monde, en l’isolant du reste de ses concitoyens comme s’il était un lépreux du temps jadis, vous devez lui montrer en quelle haine vous tenez le crime qu’il a osé commettre ».
La méthode est éprouvée en septembre 1880, dans le comté de Mayo, à l’encontre d’un ex-capitaine anglais particulièrement impopulaire, Charles Cunningham Boycott. Ce régisseur « brutal, revêche et morose » travaille pour le compte d’un grand propriétaire britannique. Droit dans ses bottes, insensible aux difficultés financières des fermiers lui demandant une baisse de leur loyer pour cause de mauvaise récolte, Boycott procède à l’expulsion de onze d’entre eux. Le protocole habituel, sauf que le lendemain, quittent les lieux ses domestiques, ses ouvriers agricoles, le maréchal ferrant, la blanchisseuse, le préposé au courrier. Alentour, les boutiques refusent de le servir. On refuse de le transporter. Mis en quarantaine sociale, interdit, ostracisé (et aussi plus ou moins aimablement menacé, vilipendé ou insulté), le voilà dans l’incapacité de recruter du personnel. Ses récoltes risquent de pourrir. Il se plaint, appelle à l’aide la communauté anglicane. Et la mobilisation en sa faveur des protestants d’Ulster achève de donner à cette affaire une dimension iconique. S’organise en effet depuis le nord de l’Irlande une expédition de volontaires, protégée par l’armée, faisant craindre une « invasion » des comtés catholiques de l’ouest irlandais par les Orangistes, favorables à l’Union. La possibilité d’un soulèvement des membres de la Ligue agraire, en réaction, tétanise les autorités anglaises. Va-t-on vers la guerre civile ?
Des envoyés spéciaux affluent, notamment des Etats-Unis où vit une importante diaspora américano-irlandaise, attentive au moindre faux pas des Anglais. On guette l’étincelle, cependant que la petite histoire rejoint la grande. Un reporter américain, James Redpath, cherche la bonne façon de raconter l’évènement. « Excommunication sociale » ou « ostracisme » risquent de ne pas être compris des lecteurs, craint-il. Le Père O’Malley, un des principaux organisateurs de la mobilisation, suggère : « pourquoi ne pas dire que Boycott a été boycotté ? ». La formule apparaît dans les colonnes de l’Inter Ocean le 22 octobre 1880. La notion fait florès, comme chacun sait. C’est tombé sur Boycott. Nombreux étaient les méritants, de l’avis général des Irlandais.
La présence de la presse, fût-elle partisane, et de nombreux témoins étrangers, contribue quoi qu’il en soit à calmer le jeu. Chaque camp se sait observé. Aucun n’a intérêt à s’aliéner l’opinion publique. Fin novembre, volontaires et soldats s’en retournent dans le calme, leur travail accompli. Les supporters de Boycott l’emportent au prix d’une opération de sauvetage, d’après les calculs de Parnell, évaluée à 250000 Livres, soit un shilling par navet récolté. « Que se passerait-il si douze, quinze ou deux-mille propriétaires étaient boycottés ? » s’interrogent les journaux. De fait, les boycotts se succèdent, non sans résultat. Le gouvernement finit par limiter l’impunité des propriétaires terriens. Le prix des fermages est réduit de 20%. Progressivement, l’accès à la terre des Irlandais est facilité. Les avancées en matière d’autonomie législatives, en revanche, sont tenues en échec. Plusieurs occasions de trouver une issue négociée au différend anglo-irlandais sont manquées, alors que s’aggravent les tensions entre le Nord et le Sud du pays.
Parnell, le « roi sans couronne » irlandais, reste au faîte de sa gloire jusqu’en 1889, année où sa mise en cause pour une relation adultère lui fait perdre le soutien de ses pairs, de l’église catholique et de l’opinion. Il s’entête, refuse de démissionner et meurt à l’âge de 45 ans sans que son combat pour le Home Rule n’ait abouti.
Bibliographie :
Olivier Esteves, Une histoire populaire du boycott, Tome 1, Paris, L’Harmattan, 2005
François Bédarida, L’Angleterre triomphante, Paris, Hatier, 1974