Ouvrons le Petit Larousse. Le mot « violence » est défini selon quatre significations : 1. Caractère de ce qui se manifeste ou produit ses effets avec une force intense, extrême, brutale. 2. Caractère de ce qui est emporté, agressif ; brutalité. 3. Extrême véhémence, outrance dans les propos, les comportements. Laissons de côté la signification 4.
Il est manifeste que ces trois premières significations sont le résultat d’une dérive, qui aboutit à confondre la violence, soit avec la force brutale (sens 1), soit avec l’agressivité ou l’emportement (sens 2), soit avec l’outrance et la véhémence (sens 3). Dans ces significations dérivées du substantif se trouve perdue la signification première ; l’on repère immédiatement celle-ci dans le verbe correspondant, violenter (les verbes mentent souvent moins que les substantifs, abstraits) : la signification première de violenter est « commettre sur quelqu’un un viol ou une tentative de viol », et la signification seconde, littéraire [litt.], immédiatement connexe, est « faire violence à quelqu’un, le contraindre, le faire agir par force ». Dans violence, il faut réentendre l’acte de viol, l’action de violenter. La structure de la violence suppose ainsi un agent conscient, plus ou moins volontaire, une victime atteinte dans son corps, niée dans la libre disposition d’elle-même, lésée dans son intégrité et dans ses droits fondamentaux. En deçà des dérives, glissements et banalisations opérés par ce que j’appelais ci-dessus l’idéologie de la violence, nous trouvons ainsi les éléments essentiels d’une définition précise de la violence.
Compte tenu de la double appartenance de l’être humain au monde physique et au monde moral, on trouvera la violence à l’œuvre dans toute atteinte à la vie humaine et dans toute négation de la dignité humaine. Sans qu’elle aille toujours jusqu’au bout de ce qui la constitue, la violence fait œuvre de mort et/ou de mépris. On définira donc comme violente toute pensée, toute action, toute institution qui porte volontairement atteinte à la vie ou à la dignité d’autrui. Corrélativement, on appellera non-violence la décision de principe de refuser toute pensée, toute action, toute institution visant à porter atteinte à la vie ou à la dignité d’autrui. Ainsi comprise, la non-violence n’est rien d’autre qu’une brève transcription de l’interdit fondateur de l’éthique : « Tu ne commettras pas le meurtre », formulé dans toutes les cultures et toutes les religions par la Règle d’Or : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse à toi-même » On ne s’étonnera donc pas de découvrir ainsi la non-violence à l’origine de la morale. Elle est à la fois le principe fondateur de l’éthique, la légitimation de tous les droits et devoirs de l’homme, et l’option qu’il est impératif de choisir, comme qualifiant les moyens de l’action, chaque fois qu’elle est possible.
Bernard Quelquejeu. Docteur en philosophie, auteur de nombreuses publications en philosophie morale et politique, en particulier sur la non-violence. Membre du Comité d'orientation d'ANV.
Extrait de Bernard Quelquejeu,
Sur les chemins de la non-violence. Paris, Vrin 2010, p.7-8.