L’action « Bloquons la république des pollueurs », organisée par ANV-COP21, Greenpeace et les Amis de la Terre, a rassemblé plus de 2000 participants à La Défense le vendredi 19 avril. Les activistes ont bloqué le siège de la Société Générale, de Total, d’EDF et le ministère de la Transition écologique.
19 avril 2019, La Défense, 8 h 40. Le top départ est lancé. Une vague humaine envahit simultanément les halls, ascenseurs, escaliers de quatre immenses tours. Des personnes s’assoient devant les portes principales en s’accrochant les unes aux autres, formant un véritable tapis humain empêchant les employés d’y pénétrer. Certaines vont jusqu’à se menotter ou s’enchaîner aux accès. En l’espace de deux minutes, 2030 personnes bloquent avec leurs corps les entrées des tours de Total, EDF, la Société générale et le bâtiment du ministère de la Transition écologique et solidaire. Des centaines de groupes affinitaires ont été constitués pour se rendre de manière autonome sur les lieux de la cible, stratégie permettant de rendre l’action impossible à arrêter.
L’action « Bloquons la République des pollueurs » vise à dénoncer l’alliance toxique entre les multinationales les plus polluantes et Emmanuel Macron et son gouvernement ; ainsi que le rôle du ministère de la Transition écologique, qui fait passer les intérêts de ces entreprises avant la question climatique. Sur le parvis de La Défense, des affiches à l’effigie du chef de l’État le désignant comme « Président de la République des pollueurs » apparaissent peu à peu sur les murs, recouvrent les panneaux publicitaires. Le message s’inscrit au pochoir jusque sur le sol. Pendant plus de dix heures, les citoyens mobilisés ont bloqué les sites, en chantant des slogans pour faire passer leur message, sous un soleil ardent ou calfeutrés à l’intérieur, portant des couches pour tenir le plus longtemps possible. D’autres ont distribué des tracts, expliqué l’action aux employés. Des portraits du Président, récemment réquisitionnés dans les mairies de France par des militants dénonçant son inaction climatique, ont fait de brèves apparitions. Cette action fut la première expérience de désobéissance civile pour une large majorité de participants.
Les trois premières tours ont été évacuées par les forces de l’ordre. Pendant plusieurs heures, les agents de police ont sorti les personnes une par une, en les portant par les bras et les jambes, parfois en les traînant au sol sans ménagement. Les membres ankylosés par des heures d’immobilité, les poignets parfois malmenés par les équipements de blocage, les activistes ont été accueillis par les rayons du soleil et soulevés par une force collective incroyable émanant d’un parterre de centaines de personnes chantant à tue-tête le slogan « la police, doucement, on fait ça pour vos enfants ! » La dernière tour à été libérée à 20 h par les activistes.
Confidentialité et formation
La réussite de cette action d’une envergure sans précédent, préparée en seulement quatre semaines, tient à la mutualisation des forces des trois parties organisatrices, au travail impressionnant d’une quarantaine de bénévoles et d’une poignée de salariés. Ce type d’action exige une grande confidentialité, le déroulé et la logistique ont été mis au point à huis clos. Hormis le pourquoi de l’action, peu d’informations ont été partagées aux participants. Inscrits sur un formulaire en ligne, ils ont été invités à suivre une formation à l’action non-violente pour en savoir plus sur le déroulé et les différents rôles à jouer lors de ce type d’action, mais aussi sur les principes de la stratégie non-violente. La lutte non-violente permet d’inclure toutes les personnes qui souhaitent y entrer. Logistique, communication, cuisine, bricolage, informatique… toutes les compétences sont nécessaires pour organiser des mobilisations pour le climat et la justice sociale. Les méthodes d’organisation et de fonctionnement d’Alternatiba et ANV-COP21 sont basées sur la rigueur, la communication non-violente et la bienveillance. Le mouvement se construit en expérimentant les règles de la société dans laquelle nous souhaitons vivre, une société basée sur des valeurs de solidarité, de partage, d’entraide, de respect inconditionnel de chacun et chacune.
En l’espace de seulement trois semaines, 6 000 personnes intéressées se sont inscrites sur le formulaire de participation, du jamais vu ! En un mois, 45 sessions de formation à l’action non-violente ont été dispensées, pendant lesquelles étaient expliqués : le consensus d’action du blocage, l’attitude non-violente — actions menées à visage découvert et dans le respect des personnes — et le choix de la stratégie de lutte non-violente dans la bataille climatique. Dans le contexte actuel, où seules des solutions collectives pourront nous permettre de faire face à la crise climatique et sociale et de construire une société plus juste et en paix, la stratégie de lutte non-violente paraît la plus adaptée.
C’est la plus grande campagne de formation à la désobéissance civile pour le climat réalisée en France en un laps de temps si court.
Savoir rebondir sur l’actualité
L’opération « Bloquons la République des pollueurs » a été annoncée publiquement le 16 mars 2019, lors des prises de parole de clôture de la « Marche du Siècle », la plus grande marche pour le climat de l’histoire de France qui a réuni 107 000 personnes à Paris et 305 000 personnes dans l’Hexagone. Les six mois antérieurs ont été marqués par des mobilisations climatiques et sociales sans précédent : marches pour le climat, mouvement des « gilets jaunes », Affaire du Siècle1, actions de réquisitions de portraits présidentiels de la campagne #DécrochonsMacron d’ANV-COP21… ainsi que par l’émergence de mouvements citoyens nouveaux comme Citoyens pour le Climat, Extinction Rebellion ou Youth For Climate. Si le sujet prend de l’ampleur, dans la rue, dans les médias, jusque dans les cours d’écoles, force est de constater que l’action du gouvernement n’est pas à la hauteur des enjeux. Malgré les beaux discours des ministres et d’Emmanuel Macron sur la place de la France dans le défi climatique, plusieurs rapports2 prouvent que la politique du gouvernement n’est pas compatible avec les promesses faites à la signature de l’Accord de Paris3.
De plus en plus de personnes inquiètes se tournent vers nos mouvements avec une question récurrente : « On a marché. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? ». Dans cette période d’accélération de prise de conscience de l’urgence climatique et sociale, le rôle de nos mouvements est de pouvoir proposer des actions concrètes aux personnes prêtes à s’engager. Dans ce contexte, une nécessité est vite apparue pour Greenpeace, les Amis de la Terre et le mouvement citoyen ANV-COP21 : faire monter d’un cran le rapport de force vis-à-vis du gouvernement et dénoncer la collusion entre nos élites politiques et économiques, toutes deux responsables de l’aggravation du dérèglement climatique et des inégalités sociales. La Défense, ce lieu symbolique du système productiviste et consumériste, héberge un nombre record d’entreprises responsables d’une large partie des émissions de gaz à effet de serre de la France. En s’y attaquant, c’est donc tout un système que l’on dénonce : des décisions politiques au profit d’intérêts économiques de monstres économiques et financiers, et au mépris de l’humain et de la nature.
Un bilan positif
L’objectif opérationnel de blocage des quatre tours visées pour une journée a été rempli tout en assurant la sécurité des participants et le respect du cadre non-violent. Cette action a fait avancer le mouvement climatique d’un pas de plus dans la démonstration de sa montée en puissance, de sa détermination et de sa capacité à entraver les activités de « business as usual ». Elle a déclenché des réactions des ministres, ceux qui soutiennent habituellement les marches pour le climat sur les réseaux sociaux l’ont fermement condamné. Le signal envoyé aux entreprises polluantes a été aussi entendu : le vendredi 24 mai suivant, par crainte de potentielles perturbations, un mail a été envoyé aux salariés de 13 tours de La Défense pour les informer que les accès seraient restreints à cause de la grève des jeunes pour le climat. Loin d’être une coïncidence, cette réaction montre la bascule progressive du rapport de force. De plus en plus de personnes ont acquis la certitude qu’il est désormais nécessaire d’aller plus loin que les actions légales pour accomplir leur devoir citoyen : à défaut d’être entendus, ils sont prêts à désobéir.
Notre défi est désormais d’utiliser nos bases, nos forces et notre intelligence collective pour participer à la structuration d’un mouvement citoyen de masse, non-violent, radical et populaire, un mouvement rejoint par des milliers de personnes, dont les racines se renforcent et se connectent pour resserrer les mailles d’un réseau de résistance qui puisse faire émerger une société soutenable et plus juste.