YVETTE BAILLY, militante au MAN Lyon.
Un « révélationnaire »
Cet urbaniste, philosophe, essayiste, est décédé (en toute discrétion comme il a vécu) le 10 sep- tembre 2018, il avait 86 ans. Sa pensée et ses écrits restent marqués par son travail mené sur la vitesse, qu’il considérait comme un facteur essentiel de l’organisation sociale et du contrôle politique. Paul Virilio était un homme libre et un visionnaire. Il aura été peut-être le premier lanceur d’alerte (avant même que ce concept soit vulgarisé). À la question posée par Dominique Leglu de la revue Science et Avenir en 2011, « Diriez-vous que vous êtes un prophète du malheur ? », il ré- pondait : « Sûrement pas, je ne sais pas faire autre chose que d’alerter, je préfère donc le nom de révélationnaire ». Il était aussi maître-verrier, métier où il expérimentait la patience et la lenteur. Conjuguant son travail d’architecte et sa réflexion philosophique, il a créé des expositions artistiques pour la Fondation Cartier notamment « La vitesse » (1991) et « Terre natale » (2008).
Vitesse et politique
C’est son essai paru en 1977, Vitesse et politique. Essai de dromologie, qui le fera connaître. Toute sa vie, il étudiera les vertiges de cette vitesse dont les formes et les technologies sont en perpétuelle accélération. La vitesse, cette variable « infiniment élastique » revêt pour lui une dimension politique. Dans l’aménagement du territoire, la vitesse abolit les frontières en même temps qu’elle en recrée d’autres, plus sournoises; elle dérégule les écarts des lieux géographiques et des rapports humains. « L’intense accélération » s’applique à tous les registres et toutes les activités.
Paul Virilio a été particulièrement choqué par la guerre du Golfe d’août 1990. Ce fut, pour lui, la forme moderne d’une guerre totalitaire où la commu- nication est érigée en arme principale. Ce constat rejoignait d’ailleurs les prédictions de son ami Jean Baudrillard qui faisait une critique radicale de la tyrannie de la société des images. Ainsi, certaines pratiques ou modes médiatiques, comme par exemple les reality-shows, suscitent les réflexes plutôt que la réflexion par le déferlement des images, lequel engendre une sidération immédiate. Cette distorsion se repère encore, selon lui, dans la pratique journalistique dont le « dopage de l’instant » et le « continuum audiovisuel » conduisent les journalistes à devenir « instantanéistes ».
Débusquer les violences structurelles
En 2010, dans Le Grand accélérateur, ouvrage qu’il dédiait « aux traders de Wall Street qui ont embouti le mur du temps », il dénonçait l’hystérisation de la société qui se manifestait aussi bien dans le mode de fonctionnement politique (les trop courts délais accordés, par exemple, à l’examen des textes de loi) que dans le capitalisme « hors-sol » uniquement fondé sur une spéculation « en apesanteur ».
Paul Virillo a contribué à la revue Alternatives Non-violentes dès les tous premiers numéros. On trouve sa première signature dans le no 7. Il a ensuite été membre du 1er Comité d’orientation de la revue d’octobre 1978 à décembre 1989. Même s’il n’a pas écrit de texte spécifique sur la non-violence, il a aidé la mouvance non-violente à mieux débusquer et condamner les violences structurelles. Quelquefois tapies sournoisement sous couvert des bienfaits du progrès, ces violences modifient et altèrent le fonctionnement de la société en accentuant les rapports de domination dans les relations humaines.
Paul Virilio nous a aidés à mieux comprendre la complexité de la société contemporaine. Il était de la trempe de ces grands penseurs des années 1970, comme Jacques Ellul et André Gorz qui furent eux aussi, chacun dans leur domaine, des visionnaires. J. Ellul a désacralisé la technique et la modernité, il fut un précurseur de la décroissance, A. Gorz a déconstruit le rapport au travail et au salariat. C’est sûr, ces grands penseurs vont nous manquer !