FRANÇOIS VAILLANT, directeur de publication d’ANV.
Ni banale ni héroïne, Solange Fernex fut une pionnière dans les luttes pour l’écologie, le féminisme, le désarme- ment, avec la non-violence toujours en bandoulière. Solange est née en 1934 à Strasbourg dans une famille où l’on connaît la Bible par cœur. En 1940, à l’âge de six ans, elle est marquée à vif par la mort de son père sous l’uni- forme français. Adolescente, sa lecture d’Albert Schweitzer la conduit à lire Romain Rolland puis Gandhi, Massignon...
En 1973, elle participe avec Antoine Waechter, Alsacien lui aussi, à la création du premier parti écologiste d’Eu- rope, Écologie et Survie. En 1974, elle s’enthousiasme pour la candidature de René Dumont aux élections pré- sidentielles. Elle milite à Fessenheim et en Allemagne contre le nucléaire civil et militaire. En 1984, elle coopère à la création du parti Les Verts, qu’elle quittera en 2002. Solange participe à faire valoir la non-violence dans les textes de ce parti politique, notion qui disparaîtra à partir de 2008 dans les textes d’Europe Écologie. En 1989, élue députée européenne des Verts, elle travaille d’arrache-pied au Parlement européen, notamment pour l’agriculture biologique, contre la pêche industrielle, les industries polluantes. Elle est présidente de l’intergroupe Paix et Désarmement du Parlement européen (1991-94). De 1995 à 2003, elle anime la section française de la Ligue inter- nationale des femmes pour la paix et la liberté.
Cette militante passionnée et convaincue contribue à jeter des ponts entre écologistes, tiers-mondistes, non-violents, féministes, socialistes, gauchistes... Elle n’aime ni la division, ni la médisance : on ne l’entraîne pas sur le terrain des conflits de personnes, elle cherche à ne jamais humilier ses adversaires politiques. Elle est obstinée et ne transige jamais avec ses convictions.
Solange aime la vie. Ses proches la taquinent parfois sur certains de ses traits. Son amie Dominique Voynet écrit : « Toujours entre deux avions, entre deux trains, baladant à bout de bras trois ou quatre sacs de toile bou rés de papiers et documents dans toutes les langues, elle était à la fois constam- ment pressée, et étonnement disponible. Nous nous moquions d’elle avec tendresse... Toujours en mouvement, toujours débordée, il n’y avait guère de jour où elle n’oubliait pas quelque chose, un sac, un pull, dans une salle de réunion, un compartiment de train ou un café. »1
Solange tient en horreur les flonflons, elle accepte pourtant de recevoir la Légion d’honneur en 1998, une décoration d’origine militaire! Solange n’a pas de diplôme universitaire, ce qui ne l’empêche pas d’être une bosseuse. Décortiquer un dossier, elle sait faire. Bénévole, elle l’est partout, que ce soit à la Maison de Vigilance de Taverny ou dans de multiples autres associations. Michel, son mari, gagne bien sa vie comme médecin chercheur. La sobriété heureuse passe avant tout dans cette famille avec quatre enfants.
Innombrables sont les combats auxquels Solange a participé, avant d’être terrassée par un cancer dont elle meurt en 2006. Les trois épisodes qui suivent illustrent son obstination pour le respect de la vie.
La centrale nucléaire de Fessenheim
Les manifestations de protestation sont nombreuses entre 1971 et 1977 mais ne suffisent pas à empêcher la construc- tion de la centrale de Fessenheim, avec le prototype français des réacteurs à eau pressurisée. Aussi, le 10 février 1977, avec six autres personnes, Solange en- tame un jeûne à durée indéterminée. Les jeûneurs demandent aux pouvoirs publics que les populations soient in- formées des risques encourus à proximité de cette centrale. Ce jeûne fait grand bruit en Alsace. Après 23 jours d’abstinence complète de nourriture, le préfet promet que le plan Orsec-Rad sera prochainement publié; les jeûneurs acceptent de se réalimenter progressivement.
Le « Jeûne pour la vie »
La course aux armes atomiques est pour Solange une pente suicidaire à l’échelle planétaire. Le 6 août 1983 à San Francisco, en pleine crise des euromissiles, un militant commence un jeûne à durée illimitée. À Paris, avec deux autres jeûneurs, Solange Fernex décide d’entamer une grève de la faim, s’il le faut jusqu’à la mort, si les États détenteurs de la Bombe ne s’engagent pas en faveur d’un désarmement véritable. La presse nationale n’évoque pratiquement pas ce jeûne, à la différence de quelques journaux de province où, ici et là, des jeûneurs accompagnent pendant quelques jours les trois jeûneurs de Paris. Solange est au bout du rouleau vers le 30° jour mais veut aller jusqu’au bout et obtenir la promesse d’un désarmement mon- dial. Par miracle, un compagnon de la Communauté de l’Arche de Lanza del Vasto parvient à la convaincre d’arrêter de jeûner.
Au printemps précédent, Solange avait été extrêmement déçue que les mouvements non-violents français n’aient pas voulu s’engager à soutenir le Jeûne pour la vie. Lors d’une réunion à Paris, après avoir exposé son projet, Solange avait écouté attentivement les arguments dissuasifs des uns des autres : ce jeûne a un objectif inatteignable; être prêt à mourir pour une juste cause ne suffit pas ; Gandhi a bien entamé des jeûnes à mort mais il était déjà mondialement connu ; la dimension internationale est trop peu prononcée ; etc. Solange avait argumenté mais sans convaincre personne. Dans la salle, le général Jacques de Bollardière, resté jusque-là silencieux, la supplia alors d’abandonner son projet. La ré- ponse se fit cinglante : « Peu m’importe, je jeûnerai quand même ! »
Tchernobyl
Suite à l’accident nucléaire à Tchernobyl du 25 avril 1986, Solange est remuée jusqu’aux entrailles en apprenant que plus de 400000 enfants survivent dans les zones contaminées autour de Tchernobyl. Elle participe à leur venir en aide et renouvelle ses efforts pour l’abandon du cycle du nucléaire en France et ailleurs.