Le jeûne civique, mode d'emploi

Auteur

Jean-Baptiste Libouban

Localisation

France

Année de publication

2015

Cet article est paru dans
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Je ne suis ni médecin, ni expert en diététique. J’ai eu l’occasion d’expérimenter un certain nombre de jeûnes civiques. Je vous communique ici quelques indications et recommandations issues de ces expériences, qui peuvent rendre service dans ce genre d’action, pour des jeûnes de plus de trois jours.

Le jeûne est accessible à tous ceux qui sont en bonne santé et qui ne suivent pas de traitements médicaux indispensables qu’ils ne sauraient rompre sans risque (contre-indications, maladies cardiaques, rénales, etc.).

Jeûner, ce n’est pas manger une chose plutôt qu’une autre. C’est ne rien manger du tout, de jour comme de nuit, pendant le temps fixé. Beaucoup de grévistes de la faim boivent des thés ou des cafés sucrés. Ce n’est pas du tout recommandé pour la santé. Le corps médical fait remarquer que la prise de sucre rapide (sucre, miel, etc.) pendant le jeûne occasionne la disparition rapide des réserves de vitamine B qui peut conduire à des lésions cérébrales graves. Cette pratique empêche « l’état de jeûne » de se mettre en place, c’est un nouvel état de l’organisme. La digestion accapare une très grande quantité d’énergie. Ce n’est pas sans raison que les animaux malades ou blessés refusent toute nourriture. Dans le jeûne, le corps est mis au repos physiologique. Il se nourrit de ses réserves en graisse et sucres, de ses cellules défectueuses. Le jeûne nettoie et transforme nos tissus. Des personnes en bonne santé physique peuvent supporter 30 à 40 jours de jeûne et plus.

Il faut tenir compte de l’âge, du poids, de la résistance de chacun, puisqu’un jeûneur perd environ 500 g de poids par jour. Les jeûneurs de Sivens qui ont jeûné plus de 50 jours ont perdu entre 25 et 30 kg. C’est à chacun de sentir ses limites, mais cela ne saurait suffire. Un suivi médical journalier des jeûneurs est indispensable, nécessitant la prise de tension et la surveillance de l’état mental.

Jeûner, c’est d’abord ne pas penser qu’on jeûne. Le jeûne commence par la pensée. Celui qui a peur ne peut continuer à jeûner, ni celui qui serait affecté de troubles mentaux. La bonne humeur est la meilleure façon de jeûner. Certains jeûneurs perdent le sommeil. Il ne faut pas s’en inquiéter. Le corps, lui, se repose. Le jeûneur, dans la journée, doit veiller à s’activer, marcher et ne rester couché que dans les moments de fatigue. Il faut boire et se pousser à boire, un à deux litres d’eau de source par jour. J’ai vu cependant une personne dont l’organisme réclamait énergiquement l’eau du robinet. Enfin quelques gouttes de citron ajoutées à l’eau suffiront souvent à régler bien des petits problèmes d’adaptation et pour beaucoup une demi-cuillérée de sel marin par jour est conseillée par les médecins pour éviter la déshydratation, à prendre dans l’eau tout au long de la journée.

Ce sont les deux à trois premiers jours qui sont les plus difficiles à passer en général, à cause des réflexes de faim, de notre conditionnement aux plaisirs de la table, synonyme de vie. Le plus souvent au bout de trois jours, le corps s’incline et ne crie plus famine. Pour que le jeûne ne soit pas trop rude pour l’organisme, il est bon de préparer celui-ci dans les jours qui précèdent. Supprimer : viandes, poissons, œufs, laitages, boissons fortes et sucrées, tabac. Certains préconisent le nettoyage de l’intestin (lavement), ce que faisait Gandhi, il me semble. D’autres prennent du charbon végétal pour absorber les toxines intestinales. À la fin du jeûne, la reprise alimentaire est d’autant plus délicate que le jeûne aura été long. Une réalimentation rapide est très dangereuse pour le corps et peut causer des troubles digestifs graves. L’appétit revient au galop. Il faut donc être exigeant à ce moment-là et ne pas se laisser aller. La meilleure reprise en général est le bouillon de légumes (sans pommes de terre, ni oignons, qui occasionnent des gaz intestinaux). Là encore, il faut exclure des premiers repas : viandes, poissons, œufs, laitages, chocolat au lait, alcool, thé, café, sucres, gâteaux. Après les légumes cuits, les fruits en compotes, puis crus. On s’avance ensuite, avec le riz et les pâtes, vers une alimentation normale. Donc, principe de base : attention à ne pas faire « une bonne bouffe » tout de suite et surveiller les quantités. C’est difficile de se restreindre, mais absolument indispensable. Certains, n’ayant pas respecté ces règles, se sont vus dans l’obligation de reprendre un jeûne pour apaiser les troubles digestifs. D’autres, ayant pris trop rapidement une alimentation riche, ont dû supporter des douleurs d’hémorroïdes.

Dans un jeûne civique, chacun doit être prêt à s’arrêter si des raisons médicales sérieuses l’exigent. Il ne faut s’entourer que de médecins qui comprennent le jeûne et n’en ont pas peur. Les jeûneurs ne s’offrent pas en sacrifice. Ils offrent quelques jours de leur vie pour interpeller l’opinion et les pouvoirs publics par un geste, certes, courageux, mais qui ne doit pas se terminer en drame. Comment jeûner pour la vie et la mettre en danger ? Le jeûne politique met en scène une dramatisation de la situation vécue par le jeûneur. Dans cette dramatisation où le jeûneur prend beaucoup sur lui, il peut être difficile de bien évaluer ses limites, de ne pas les outrepasser. C’est le travail du comité de soutien des jeûneurs d’y veiller.

Nous sommes attachés au principe de précaution et ne saurions y contrevenir sans craindre aussi une désapprobation extérieure.


Article écrit par Jean-Baptiste Libouban.

Article paru dans le numéro 174 d’Alternatives non-violentes.