Auteur

François Vaillant

Année de publication

2014

Cet article est paru dans
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La découverte du titre de ce numéro d’ANV étonnera sans doute plus d’un abonné. La réalité est pourtant là : c’est en Corse que se déroulent actuellement le plus de formations à la régulation non-violente des conflits, c’est en Corse que viennent d’avoir lieu successivement deux fois une Université pour la non-violence. Ceci n’est que l’infime partie visible de l’iceberg, comme en témoignent les articles de ce numéro.

Il existe, il est vrai, une autre réalité douloureuse en Corse, celle des assassinats. Mais on ne parle jamais de la blessure infligée aux Corses chaque fois qu’un ministre, de droite ou de gauche, débarque sur l’île pour s’indigner : « La violence est dans la culture de la Corse », « tous ces crimes sont entretenus par le silence des Corses », etc. La majorité des Français du continent ont fini par adhérer à ces inepties depuis le temps qu’elles leur sont rabâchées. Mais au fait, la police et la Justice font-elles toujours correctement leur travail en Corse ? Des rapports accablants mettent directement en cause des services de l’État français, indiquant des anomalies flagrantes dans des enquêtes menées contre des personnes mafieuses, avec le couvert de leur hiérarchie[1].

Revenons aux Corses. Ils souffrent jusque dans leur chair de l’image qui est donnée de leur île, comme de tous les préjugés et clichés que l’on véhicule sur eux : « En fin de compte cette île serait bien plus agréable sans ses habitants. »

Jusqu’à un passé récent, personne de la rédaction d’ANV n’était encore allé en Corse. Nous étions dans le gouffre de méconnaissance et de préjugés qui sépare le continent et cette île, jusqu’au jour où quelques-uns d’entre nous ont eu l’occasion d’y séjourner pour y rencontrer de ses habitants déjà passionnés par la non-violence.

Il y avait bien là-bas depuis longtemps un abonné à ANV, Jean-François Bernardini. Fin 2004, ANV publie son n° 133 intitulé « Action éducative et sociale, l’apport de la non-violence ». Un des articles, rédigé par François Lhopiteau, directeur de l’Ifman Normandie, porte sur les formations à la régulation non-violente des conflits. Suite à cet article, Jean-François Bernardini téléphone à François Lhopiteau pour comprendre les enjeux et la pédagogie de ces formations. Ils se fixent un rendez-vous à Paris. Jean-François Bernardini nous raconte la suite[2] : « Je lui ai parlé de nos préoccupations au sein de la Fondation de Corse. Je lui ai bien sûr longuement parlé de la Corse. Il m’a laissé m’exprimer. Il m’a écouté attentivement, puis a résumé mes propos sur la Corse par une question que je n’ai jamais oubliée : “d’où vient toute cette souffrance ?” C’était la première fois que l’on me posait cette question sur la Corse. Fraternelle question. » Écouter, chercher à comprendre, voilà un des plus nobles aspects de l’attitude non-violente. Cet échange fut un premier maillon de confiance, non pas pour organiser des causeries sur la non-violence, mais pour construire ensemble, initier, sensibiliser, convaincre, transformer des réalités.

Ainsi, depuis trois ans, des formateurs des Ifman réalisent en Corse des formations à la non-violence auprès d’enseignants et de lycéens, des militants du Man s’y rendent pour d’autres formations ou interventions publiques. Tous sont revenus en disant : « Il se passe quelque chose d’inouï en Corse. » C’est pourquoi, après la seconde Université de la non-violence organisée par la Fondation de Corse à Aléria, en juillet 2013, ANV a décidé de réaliser ce numéro.

N’ayant pas trouvé en Corse d’autres associations engagées officiellement en non-violence, c’est avec la Fondation de Corse[3] qu’ANV a préparé ce numéro.

Il existe de nombreuses associations corses qui travaillent sur place à l’avenir de ce pays. Beaucoup font un travail admirable qui soulève l’estime. Il existe, par exemple, un collectif de femmes qui a publié Le Manifeste des femmes pour la vie, lequel a suscité une impressionnante manifestation silencieuse et sans violence avec 40 000 personnes dans les rues d’Ajaccio après l’assassinat du préfet Érignac. Il existe également depuis juin 2013 un nouveau collectif nommé « Contre les assassinats et la loi de la jungle », lequel comprend notamment des personnalités de l’île. Ce collectif explique que « la vocation première de sa démarche est un appel aux consciences[4] ». C’est utile et important. Mais ces associations ne sont pas à ce jour, engagées en non-violence.

Gandhi a forgé le mot « non-violence » en 1920. S’engager en non-violence signifie que l’on entre dans une passionnante aventure, forte d’une tradition de luttes pour plus de justice qui ne doit rien à la violence. S’engager en non-violence, c’est rejoindre la mémoire et les enseignements des grands combats conduits par les Indiens avec Gandhi, les Noirs américains avec Martin Luther King, les paysans au Larzac[5]… C’est découvrir les actions non-violentes pour plus de justice, telles que la grève de la faim, le boycott, la non-coopération, la désobéissance civile…

Quelque chose d’inimaginable est en train de se construire autour de la Fondation de Corse et de ses partenaires. Non seulement celle-ci aide à l’installation de nouveaux bergers en Corse, à la remise en état de châtaigneraies et autres cultures traditionnelles, mais elle s’investit totalement dans la non-violence. Ce phénomène prend tranquillement de l’ampleur. Jeunes et vieux sont au rendez-vous. La non-violence en Corse étonne déjà de nombreux Européens.

Ce numéro d’ANV montre combien la Corse a soif de non-violence, combien elle possède un terreau culturel et historique qui lui est approprié. L’histoire de la Corse s’écrit chaque jour. Aujourd’hui elle s’écrit avec force et joie, à visage découvert.

 

[1] Voir par exemple Le Monde des 25-26 novembre 2012, Le Canard enchaîné du 21 novembre 2012.

[2] Lors du NV-Day organisé conjointement par Non-violence XXI et la Fondation de Corse, le 15 mai 2013, à la Mutualité de Paris.

[3] ANV a choisi d’écrire toujours dans ce numéro « Fondation de Corse » pour nommer l’Association pour une Fondation de Corse Umani (Associu pè una Fundazione di Corsica Umani). Site : www.afcumani.org

[4] Voir www.corsenetinfos.fr du 22 octobre 2013.

[5] Ce n’est pas un hasard si le film Tous au Larzac ! a été ovationné par les participants aux Université de la non-violence organisées en 2012 et 2013 par la Fondation de Corse.


Article écrit par François Vaillant.

Article paru dans le numéro 169 d’Alternatives non-violentes.