Albert Camus (1913-1960) vient d’une famille pauvre des banlieues d’Alger, sa mère, Catherine, femme de ménage, n’a jamais su lire. Son père, Lucien, caviste, est mort à la guerre de 1914-18, laissant son enfant orphelin à l’âge de trois ans et demi.
Albert Camus s’est battu du côté des ouvriers exploités, mais comme il a eu le courage de critiquer âprement la violence des régimes communistes en URSS puis en Europe de l’Est, certains le réduisent à un anticommuniste.
Camus a insufflé la révolte, la dignité et la liberté dans ses romans et pièces de théâtre. Certains bourgeois tranquilles et quelques capitalistes affairés en quête de références littéraires cherchent toujours s’emparer de son héritage intellectuel. Il n’est pas leur philosophe.
Le président de l’époque a déjà voulu, en 2009, faire un coup de force en projetant de faire entrer au Panthéon les restes de l’écrivain. Sa famille refusa, par simple décence. Qu’on l’entende bien, pour Camus : « La société bourgeoise parle de liberté sans la critiquer[1]. » ; et, par ailleurs, « pendant cent cinquante ans, sauf dans le Paris de la Commune, dernier refuge de la révolution révoltée, le prolétariat n’a eu d’autre mission historique que d’être trahi[2]. »
À l’occasion du 100ième anniversaire de la naissance d’Albert Camus, tout le monde semble vouloir s’attirer l’écrivain à soi. ANV va-t-il tomber dans le tort qu’il dénonce ? Autant dire tout de suite notre position. Albert Camus n’est pas un auteur ayant étudié et compris la non-violence, mais les adeptes de la non-violence trouvent chez lui une formidable matière à réflexion, notamment celle qui concerne le refus de légitimer comme de justifier le meurtre. Et c’est précisément sur ce refus que l’Histoire rend raison à Camus au sujet de la guerre d’Algérie, et contre Sartre, et pour l’abolition de la peine de mort.
Pour Camus, la révolte devant l’absurde est le mouvement qui assure la dignité de l’être humain. La révolte est ce premier moteur de la conscience morale qui révèle l’exigence de justice qui habite les hommes. La philosophie de la non-violence ne dit rien d’autre à son commencement. Face aux injustices commises par des hommes, l’idée de justice surgit, mais en même temps elle appelle, pour les adeptes de la non-violence, la décision pour l’action. La pertinence et la force de l’action non-violente initiée par Gandhi (boycott, désobéissance civile…) ont échappé à Camus. Il a néanmoins perçu et défendu avec courage, notamment lors de la guerre d’Algérie, que « quand l’opprimé prend les armes au nom de la justice, il fait un pas sur la terre de l’injustice[3] ».
Le refus de la violence révolutionnaire est partout manifeste chez Camus, mais son « non à la violence » n’est pas parvenu à se traduire par un « oui » franc et massif pour l’action non-violente. En avril 1958, deux ans avant de mourir dans un accident de voiture, Camus a cependant écrit, à propos de la révolte algérienne : « Après tout, Gandhi a prouvé qu’on pouvait lutter pour son peuple et vaincre, sans cesser un seul jour de rester estimable. Quelle que soit la cause que l’on défend, elle restera déshonorée par le massacre aveugle d’une foule innocente où le tueur sait d’avance qu’il atteindra la femme et l’enfant[4]. »
Ceux qui voulaient Albert Camus au Panthéon savent-ils qu’il a rédigé de sa plume
l’Appel approuvé par le CSOC (Comité de secours aux objecteurs de conscience) à l’occasion du lancement, avec Louis Lecoin, de la campagne pour obtenir un statut pour les objecteurs de conscience ? On lit dans cet Appel : « Au surplus, la non-violence, qu’on prétend si souvent tourner en dérision, s’est révélée en maints cas très efficace, alors que la résistance armée a manqué le plus souvent son but. L’importance du mouvement de Gandhi, à cet égard, n’est plus à dire[5]. » Camus était sur le chemin de la non-violence comme nous étions jusqu’à maintenant sur le sien. Le principal demeure la rencontre, enfin !
[1] Albert Camus, « Restaurer la valeur de liberté », dans Albert Camus et les libertaires (1948-1960), dans L’Homme révolté, dans la Pléiade II, Paris, 1981, p. 278.
[2] Albert Camus, L’Homme révolté, dans la Pléiade II, Paris, 1981, p. 622.
[3] Dans le dernier article de « Cahiers Albert Camus », cité par Jean Daniel dans Le Nouvel Observateur n° 1984, 14 novembre 2002.
[4] Albert Camus, « Avant-propos », dans Actuelles III. Chroniques algériennes 1939-1958, Gallimard, 1958, p. 17.
[5] Dans Albert Camus et les libertaires (1948-1960), écrits rassemblés par Lou Marin, Marseille, Égrégores Éditions, 2008, p. 95, cité dans Lou Marin, Camus et sa critique libertaire de la violence, Montpellier, Indigène Éditions, 2010, p. 21.