Dom Helder Camara (1909-1999), évêque de Récife au Brésil, est connu pour avoir dénoncé les mécanismes d’oppression endurée par les peuples du tiers-monde et épousé la non-violence.
Jean-Marie MULLER, Philosophe et militant de la non-violence, auteur notamment de Dictionnaire de la non-violence, Gordes, Éd. du Relié Poche, 2005 ; Désarmer les dieux, Gordes Éd. Le Relié, 2010 ; Entrer dans l’âge de la non-violence, préface de Stéphane Hessel, Gordes, Éd. Le Relié, 2011, 124 p.
Né le 9 février 1909 à Fortaleza, dans le nord-est brésilien, Helder Camara est ordonné prêtre à vingt-deux ans. Lors de ses premières années de ministère, ses sympathies politiques lui font admirer les régimes fascistes de Mussolini et de Franco. En 1955, il est nommé archevêque auxiliaire de Rio de Janiero. C’est alors qu’il se convertit au contact des pauvres qui habitent les bidonvilles de la capitale. En 1964, il devient archevêque d’Olinda et Recife, au moment même où les militaires prennent le pouvoir à la faveur d’un coup d’État. Dès son arrivée, il souligne l’urgence des réformes qui s’imposent pour rendre leur dignité à tous ceux qui souffrent de l’injustice sociale.
Un agent de la subversion évangélique
« Au cours des années 1970, écrit son biographe Richard Marin, Dom Helder devient un formidable phénomène médiatique et l’évêque catholique le plus célèbre du monde. À New York, Paris, Tokyo ou Genève les salles sont toujours trop petites pour entendre ce prélat peu ordinaire, un peu voûté et le cheveu rare, les paupières alourdies par des années de prière et de veille. D’une voix douce et traînante, mais qui sait se faire véhémente, il martèle les mêmes thèmes attendus en un français ou un anglais incertain, s’accompagnant d’une incroyable exubérance tropicale des gestes. (...) Son talent oratoire d’exception, l’image de résistant et de martyr qui l’entoure, la simplicité d’un message essentiellement moral auquel il est difficile de ne pas souscrire et, sans doute aussi, la mauvaise conscience de l’Occident qu’il se charge de réveiller, font l’extraordinaire popularité de cet homme d’Église qui parle si peu de religion 1. »
Le 23 mai 1970, Dom Helder Camara voyage en France et fait halte à Orléans. L’évêque du lieu, Guy Riobé, est certainement l’évêque français qui entretient avec le prélat brésilien la plus grande complicité. Tous deux manifestent la même détermination à incarner les exigences évangéliques de justice et de non-violence dans le domaine social et politique. Ce soir-là, 3000 personnes, des jeunes en très grande majorité, écoutent Dom Helder au Palais des sports d’Orléans.
Plusieurs personnes désirent donner une suite aux propos entendus. C’est pourquoi, en septembre 1970, onze personnes du département du Loiret, appartenant à la Communauté de recherche et d’action non-violente d’Orléans, décident, pour protester contre la course aux armements et, plus particulièrement, contre les ventes d’armes au tiers-monde, de refuser de payer 20 % de leurs impôts. Par solidarité avec son action menée au Brésil, ils envoient à Helder Camara l’argent ainsi « économisé ». Dom Helder sera très touché par ce geste et leur répondra par une longue lettre manuscrite.
Les militaires au pouvoir au Brésil ne supportent pas que l’évêque de Récife dénonce à l’étranger, partout où il passe, la torture qui est pratiquée dans son pays comme moyen habituel d’interrogatoire des détenus politiques. « Le plus dur pour moi, racontera Dom Helder en 1977, a été la période qui a suivi la conférence que j’ai faite à Paris en 1970. (...) À partir de ce moment, une énorme campagne de diffamation a été déclenchée contre moi au Brésil. (...) J’étais, je suis condamné à la mort civile. Je n’existe pas. Mais j’accepte 2. »
En octobre 1970, le gouverneur de l’État de Sao Paulo, Roberto Sodré, instruit l’acte d’accusation contre Helder Camara. « Dom Helder Camara, déclare-t-il au quotidien O Globo (8 octobre 1970), fait partie de l’appareil de propagande du Parti communiste et il est un des éléments de sa promotion en Europe. C’est pour cela qu’il reçoit de l’argent, qu’il voyage et est subventionné. Comme les mouvements de gauche veulent une célébrité, non pas à la barbe et avec cigare, mais en soutane, elles l’utilisent pour dénigrer le pays à l’étranger. C’est ce que ce Fidel Castro en soutane a fait en Europe 3. »
En 1984, Dom Helder a soixante-quinze ans et, comme c’est la règle, il présente sa démission au pape Jean-Paul II. Celui-ci nomme pour le remplacer Dom José Cardoso dont le profil pastoral est à l’opposé de celui de son prédécesseur. « Commence alors, écrira José de Broucker, à grands coups de droit canonique, la démolition systématique de la pastorale diocésaine et régionale développée par Dom Helder pendant vingt-cinq ans dans l’esprit du concile Vatican II. Dom Helder est sommé de se taire. C’est sa dernière épreuve 4. » Le nouvel évêque fera valoir que sa mission est essentiellement religieuse et qu’il entend accorder son attention aux questions spirituelles plutôt qu’aux problèmes sociaux. Le malentendu est total, car n’était-ce pas précisément par fidélité aux valeurs universelles de la spiritualité que Dom Helder s’était engagé en politique ?
Un message d’une étonnante actualité
Délaissant résolument la langue de bois ecclésiastique, Dom Helder a voulu annoncer la Bonne Nouvelle de l’Évangile à tous les hommes et d’abord aux plus pauvres. Certes, il reconnaissait la nécessité des gestes de charité pour faire face à des situations d’urgence. Mais il avait l’intime conviction que seule la justice pouvait rendre aux pauvres leur dignité. Celui qui fait la cha- rité aux pauvres plaît à tout le monde — à l’opinion publique, à l’État, à l’Église... — et tout le monde aime à lui rendre hommage. Les riches eux-mêmes se plaisent à exalter ses vertus et ils ne dédaigneront pas de lui facili- ter sa tâche. Il ne suscite aucun conflit et concourt au maintien de la paix sociale. Celui qui exige la justice risque de déplaire à beaucoup de gens, tout particulière- ment à tous ceux qui profitent ou s’accommodent de l’in- justice. Forcément, il crée le désordre et met en péril la tranquillité des nantis. Il sera donc accusé d’être un fauteur de troubles et un agent de la subversion. « Quand je donne à manger aux pauvres, disait avec malice Dom Helder, on m’appelle un saint. Quand je demande pourquoi il y a des pauvres, on m’appelle communiste. »
Dom Helder n’était pourtant guère suspect d’être un agent du communisme international. Il ne prétendait pas être un théologien de la libération, mais sa théologie était sûre et sa conception de la libération était claire. Dom Helder faisait clairement le choix de la non-vio- lence. Pour lui ce choix se fondait à la fois sur une conviction évangélique et sur une analyse politique. À l’instar de Gandhi et de Martin Luther King auxquels il ne manquait pas de se référer, la non-violence lui semblait être la seule voie conduisant à une société de justice et de liberté.
1) Richard Marin, Dom Helder Camara, Les puissants et les pauvres, Paris, Les éditions de l’Atelier, 1995, pp. 235-236.
2) Dom Helder Camara, Les conversions d’un évêque, Entretiens avec José de Broucker, Paris, Le Seuil, 1977, pp. 181-182.
3) Cité par Richard Marin, op. cit., p. 229.
4) Le Monde, 29-30 septembre 1999.
Bibliographie
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José de Broucker, Dom Helder Camara. La violence d’un pacifique, Paris, Fayard, 1969.
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José de Broucker, Les conversions d’un évêque, entretiens avec Dom Helder Camara, Paris, Le Seuil, 1977.
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Richard Marin, Dom Helder Câmara, les puissants et les pauvres - Contribution à une histoire de l’« Égli- se des pauvres » dans le Nordeste brésilien, Paris, Éditions de l’Atelier, coll. Églises/sociétés, 1995, 366 p.
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José de Broucker, Les nuits d’un prophète. Dom Helder Camara à Vatican II, Paris, Cerf, 2005.
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Sous la direction de François Lefeuvre, Guy-Marie Riobé, Helder Camara, Ruptures et fidélité d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Karthala, 274 p.