Comment appréhende-t-on le vieillissement en 2012 ? L’imagerie médicale est une nouvelle technique qui fait beaucoup de progrès. Il reste cependant pour le praticien la délicate mission d’annoncer au patient et à sa famille toute dégénérescence du cerveau, comme c’est le cas par exemple avec la maladie d’Alzheimer.
Enfance, jeunesse, maturité, vieillesse : les temps de l’Homme se succèdent. À chaque instant sur le chemin de nos destinées, des croisements surgissent au risque de nous emmener sur le chemin de la maladie, simple détour, voie sans issue : nul ne sait…
On avance naturellement vers la vieillesse, c’est la dernière période de la vie normale. La vieillesse affecte tous les tissus et organes, y compris le cerveau. Alors comment le cerveau vieillit-il ? Quelle est la limite entre :
- déclin normal des fonctions supérieures ;
- troubles cognitifs légers ;
- et maladie de la mémoire ?
Avant de répondre à ces questions, il convient de clarifier certains termes.
Quelques repères liés au vocabulaire médical
Les médecins utilisent des mots techniques avec une définition précise qui ne recoupe pas forcément celle du langage courant. La démence en est l’exemple le plus illustratif. En médecine, ce terme a un sens précis qu’il convient d’expliciter.
D’ailleurs, plutôt que de la démence, parlons des démences qui regroupent un ensemble de maladies caractérisées par un dysfonctionnement chronique des fonctions cognitives.
Dans cet ensemble de maladies, certaines démences sont curables alors que d’autres ont une évolution chronique irréversible (que l’on peut toutefois ralentir si le diagnostic est posé le plus tôt possible).
Ainsi, la Haute Autorité de santé (HAS) a émis des recommandations en mars 2008 pour encadrer le diagnostic de démence : « Une imagerie cérébrale systématique est recommandée pour toute démence de découverte récente. Le but de cet examen est de ne pas méconnaître l’existence d’une autre cause et d’objectiver une atrophie associée ou non à des lésions vasculaires. Cet examen est une imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM). À défaut une tomodensitométrie cérébrale (scanner) sans injection de produit de contraste. »
Quelques repères techniques : l’Imagerie par résonance magnétique, un outil aux multiples fonctions pour observer le cerveau
L’IRM : alors nous voilà devant cette drôle de machine qui fait de l’image par la résonance magnétique! Pour être tout à fait précis, il faudrait d’ailleurs continuer cet acronyme par « imagerie par résonance magnétique nucléaire du proton »…
Le corps humain est composé de différents tissus (muscle, peau, organes, os, etc.). Tous, sauf l’os, contiennent une grande majorité d’eau. Or la composition chimique de l’eau (H2O) contient deux protons (H+), à savoir une entité simple d’hydrogène portant une charge positive. Les protons se comportent comme de mini boussoles dans un champ magnétique. En créant un champ magnétique puissant et homogène, on peut analyser et détecter la position des protons dans les tissus en « regardant » comment ces mini boussoles réagissent dans ce champ magnétique. Les images obtenues sont très fines sur le plan anatomique pour la caractérisation précise des tissus ; ce qui permet de différencier les tissus normaux des zones inflammatoires ou des processus tumoraux. Il est aussi possible d’obtenir des images en volume du cerveau, avec possibilité de visualiser certaines structures en trois dimensions.
Sur le plan morphologique, le cerveau vieillit, comme tous les organes et tissus du corps humain. Par exemple, la peau et les articulations perdent en souplesse ; le cerveau, lui, perd du volume : c’est ce que l’on appelle « l’atrophie cérébrale ».
Longtemps on a pensé qu’atrophie rimait avec la perte des précieuses cellules nerveuses. Or il semblerait que cette perte soit minime 1 dans le mécanisme naturel de la vieillesse. Ce fait a été montré grâce à une nouvelle façon d’approcher le fonctionnement cérébral en IRM.
L’IRM fonctionnelle (IRMf) a été développée dans les années 1990. Elle détecte en direct le travail d’une zone de cerveau pendant que le patient effectue une tâche. Par exemple, on demande au patient installé dans la machine de contracter puis de relâcher le poing. Cette action musculaire « prend sa source » dans la zone motrice du cerveau qui donne la commande ; en IRMf, on détecte d’infimes modifications du métabolisme des neurones dans cette zone : le médecin a accès à une information en direct sur la façon dont le patient utilise son cerveau.
Ainsi ces études récentes en imagerie fonctionnelle ont permis de mettre en évidence comment l’activité neuronale* évolue avec le vieillissement. Avec l’âge, on observe une diminution des interactions entre régions connectées habituellement pour réaliser des tâches. En dehors de toute maladie, cette chute de la connectivité se traduit par une baisse des résultats aux tests cliniques des fonctions cognitives. Cependant, des stratégies de compensation par recrutement d’autres circuits peuvent s’enclencher 2 . C’est le fait d’arrêter de solliciter ces circuits de connexion qui fait le déclin intellectuel accompagnant la vieillesse ; de cela découle toute la justification de pratiquer un « sport cérébral » afin de solliciter toutes les connexions des neurones pour les maintenir en éveil…
« Consultation mémoire » : un réseau régional de proximité
C’est une tout autre affaire quand la quantité de neurones diminue ou que ceux-ci sont altérés dans leur fonctionnement : les symptômes de la démence s’installent plus ou moins rapidement. Au début, il peut être difficile de distinguer la transition entre le trouble cognitif léger que l’on vient d’évoquer et les symptômes d’une démence. Il est donc indispensable que la personne consulte son médecin traitant habituel pour faire la part des choses entre l’entrée dans une maladie neuro-dégénérative et le simple déclin intellectuel de la vieillesse.
Le médecin peut orienter le patient vers un centre de « consultation de la mémoire ». Ces consultations sont labellisées par l’Agence Régionale d’Hospitalisation suite à la circulaire du Ministère de la Santé de mars 2005 3 . On distingue deux niveaux de consultations spécialisées pour les troubles de la mémoire :
1er: les consultations mémoire (CM) qui permettent d’évaluer de façon précise les fonctions cognitives et, en cas d’anomalies, d’en rechercher la ou les causes ;
2e : les consultations mémoire de ressources et de recherche (CMRR ou CM2R) qui ont des missions de recherche et de formation. Actuellement les CM2R démarrent une étude de grande envergure qui vise à détecter les signes très précoces de la maladie d’Alzheimer : c’est la « cohorte memento 4 » qui va suivre 2 300 patients de 2012 à 2017.
Les CMRR et les CM sont des lieux de consultations organisés au sein d’une structure hospitalière. Une équipe de professionnels compétents dans différents domaines y accueille les patients : neurologue, gériatre, neuropsychologue, psychiatre, neuro-radiologue…
La consultation mémoire vise à confirmer le trouble de la mémoire et à rechercher le type de maladie de la mémoire.
Quelques repères médicaux
- Alzheimer : la maladie dégénérative la plus connue
La maladie neuro-dégénérative la plus connue est la maladie d’Alzheimer, mais il en existe de nombreuses autres plus rares.
Au cours de la « consultation mémoire » les examens réalisés (examen clinique et neurologique, prise de sang, test de mémoire, tests neuropsychologiques, imagerie…) permettent d’une part d’affirmer la maladie d’Alzheimer mais aussi d’éliminer toute cause réversible qui pourrait mimer une maladie neuro-dégénérative.
La maladie d’Alzheimer est la plus fréquente des démences, à l’heure actuelle on estime qu’elle touche une personne sur deux au-delà de 85 ans. Les autres démences fréquentes sont, par exemple, les démences vasculaires (liées au vieillissement des vaisseaux cérébraux), les démences dites fronto-temporales, celles à corps de Lewy…
- Alzheimer : quelles sont les pistes de la recherche aujourd’hui ?
La maladie d’Alzheimer est marquée par des troubles de la mémoire trop précoces pour l’âge du patient, elle affecte aussi le comportement et l’humeur. Elle est due à deux types de lésions identifiées par le docteur Aloïs Alzheimer (1864-1915) sous forme de dépôts de « plaques amyloïdes » et de « neuro-dégénerescence fibrillaire » qui sont vus par analyse microscopique du tissu cérébral. Ces dépôts finissent par entraîner la mort cellulaire.
Mais avant que les premiers symptômes ne soient visibles, la neuro-dégénérescence dure dix à vingt ans. C’est dans cette phase que l’on place tous les espoirs de progresser vers un traitement efficace. En effet, un diagnostic posé avant le début des symptômes pourrait permettre d’enrayer la lente évolution vers la maladie déclarée. Actuellement, malheureusement, aucun des médicaments existant ne ralentit l’évolution de la maladie, mais ils améliorent certains symptômes.
En attendant, l’IRM 5 est l’examen qui permet d’évaluer macroscopiquement la perte neuronale en mettant en évidence une forme particulière d’atrophie de la maladie d’Alzheimer : il s’agit d’une atrophie spécifique des régions temporales internes plus marquée que sur le reste du cerveau. C’est dans les replis de cette région que se niche une zone appelée « hippocampe », où siègent entre autres des centres et des relais de la mémoire et de l’organisation spatiale.
- Sous des apparences de maladie d’Alzheimer, se cachent d’autres maladies
Une autre cause fréquente de troubles cognitifs du sujet âgé peut être révélée par l’IRM : il s’agit de l’atteinte cérébro-vasculaire conduisant si elle n’est pas traitée à la démence vasculaire. C’est la deuxième cause de troubles de la mémoire chez le sujet âgé. Elle est due à une dégénérescence diffuse des neurones chez des patients souffrant d’une pathologie vasculaire comme, par exemple, l’hypertension artérielle mal contrôlée. Le paradoxe est qu’elle peut toucher elle aussi la zone de l’hippocampe et faire croire à une maladie d’Alzheimer alors qu’il serait possible de ralentir son évolution en traitant les facteurs de risque vasculaire (hypertension, tabac, cholestérol, etc.).
Comment le médecin va-t-il dire la maladie ?
Enfin vient l’annonce du diagnostic. Longtemps — et peut être encore aujourd’hui — dire la maladie était un sujet tabou. En voulant protéger de l’angoisse du diagnostic à la fois le patient, sa famille, et… les soignants eux-mêmes, le médecin aboutit au résultat inverse. À tel point qu’une réflexion s’est engagée depuis 2008 avec le « plan Alzheimer 6 » et que des recommandations de bonnes pratiques ont vu le jour. On peut souligner ces points frappés du bon sens : « Le terme précis de maladie d’Alzheimer si c’est le cas doit être prononcé. Par contre, les termes démences, détérioration cérébrale… ne doivent pas être utilisés. Le médecin doit être à l’écoute du patient, le laisser réagir et exprimer ses émotions, l’aider à mettre des mots sur son ressenti ou à poser des questions… » Il était temps que la communauté médicale reconnaisse au patient sa dignité humaine… Le texte se poursuit par les précautions à prendre pour entourer avec bienveillance le patient et ses accompagnants : « Lors de cette annonce, des points constructifs peuvent être évoqués : mettre en avant les capacités préservées du patient et ses projets… évoquer les aides possibles ; parler des associations de malades ; parler de la recherche dans ce domaine ; parler d’une évolution qui peut être lente… » On voit ici toute la démarche de prise en charge globale de la maladie dont le patient doit pouvoir bénéficier en 2012.
Ce devrait être évident et pourtant nous, soignants, nous sommes peu formés à la dimension humaine de l’annonce d’un diagnostic dont on sait que l’évolution est inéluctable vers la perte d’autonomie. Le patient, sa famille ont besoin de temps pour amortir le choc, il est indispensable de proposer un rythme de consultation qui permette d’engager une conversation plutôt qu’une consultation uniquement technique. Enfin je sais en tant que neuro-radiologue qu’une grande angoisse est ressentie par le patient et sa famille qui vient passer une IRM de contrôle : y a-t-il plus d’atrophie que la dernière fois ? Lit-on dans les regards… parler avec le radiologue n’est pas souvent facile entre la salle d’attente bondée et le couloir trop exigu, mais ne rien dire est probablement pire… Il faut parler dans un endroit respectueux de l’Autre, rassurer sur des éléments simples à appréhender et surtout ne pas se cacher derrière son attirail de grand technicien. S’accorder entre humains fragiles et autant apeurés l’un que l’autre pour se donner un moment de répit contre la maladie…
Et demain ?
Le cerveau humain nous réserve encore de belles surprises. Il y a peu, on croyait que le capital cellulaire ne faisait que décliner à partir de l’âge adulte, mais on sait aujourd’hui que ce n’est pas le cas. La plasticité cérébrale, qui nous permet de continuer à nous adapter tout au long de la vie, reste possible même jusqu’au grand âge. Notre espérance de vie s’accroît de jour en jour, il y avait 100 centenaires en 1900, ils sont environ 16 000 aujourd’hui et probablement 200 000 en 2060… nous avons bien le temps pour continuer à nous remuer les méninges !
1) BA Yankner et col, The aging brain, Annual review of pathology, 2008, n° 3, p. 41.
2) D. C. Park et col, The adaptative brain: aging and neurocognitive scaffolding, Annual review of psychology, 2009, n° 60, p. 173.
3) http://www.reseaualzheimer.fr/index.php/aidants/formation/643-la-consultationmemoire
4) http://www.fondation-alzheimer.org/node/400
5) M. C. Henry-Feugeas, Imagerie cérébrale et maladie d’Alzheimer, Paris, Hôpital Bichat : « Recommandation de la Haute Autorité de santé » (HAS), 2008.
6) « Les recommandations de bonne pratique (RBP) de la HAS pour la prise en charge de la maladie d’Alzheimer », septembre 2009-février 2010.