Auteur

François Vaillant

Localisation

Afghanistan

Année de publication

2011

Cet article est paru dans
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Chaque trimestre ANV présente le parcours d’une personne dont les actions non-violentes ont marqué notre histoire, en France ou à l’étranger.

L’infatigable Jean GOSS (1912-1991)

Qui a entendu une fois Jean Goss en conférence ne peut que s’en souvenir. Ce militant de la non-violence avait une façon très personnelle d’intervenir, la tête haute, la parole forte, vivant ce qu’il disait avec d’éloquents mouvements de bras.

Né dans une famille ouvrière près de Lyon, il fut longtemps cheminot. En 1940, Jean est mobilisé, il a vingt-huit ans. Il est fait prisonnier en tant que maréchal des logis et se retrouve en Allemagne. Au début de la guerre, il vit une expérience qu’il qualifie de mystique. Au nom de quoi les chrétiens doivent-ils s’entretuer sur les champs de bataille ? De là naît pour lui l’impératif de non-violence : Jésus ne demande-t-il pas à ses disciples d’aimer même leurs ennemis ? Comment aimer son ennemi en maniant des armes ? C’est impossible et odieux estime ce nouveau converti aux exigences évangéliques. Durant toutes les années qui ont suivi, la non-violence est pour Jean Goss inséparable de sa foi qui aime et espè- re. Ce qui ne l’empêche aucunement d’être très à l’aise pour parler de ses convictions non-violentes devant n’im- porte quel auditoire, même pro-marxiste. Jean n’a jamais eu froid aux yeux.

Revenu d’Allemagne après la guerre, il s’engage sur le plan syndical et social, sans grande formation politique. L’événement qui va marquer le reste de sa vie est sa rencontre en 1953 avec Hildegard Mayr qu’il va épouser en 1958. Ils auront deux enfants, Myriam et Étienne. Cette belle dame travaille alors au secrétariat international du Mouvement pour la réconciliation (Mir). Leur vie va être désormais entièrement consacrée à ce mouvement non-violent d’obédience chrétienne. Henri Roser, pasteur de l’Église réformée et président du Mir-France, aide Jean Goss à formuler les fondements théologiques du message non-violent de l’Évangile. Il lui explique les compromis de l’Église catholique, notamment, la fameuse « théologie de la guerre juste ».
Jean va à Rome dans les années 1950 pour se faire entendre du Vatican, où il est effectivement reçu. Durant la guerre d’Algérie, il prend des risques en diffusant des textes imprimés en Belgique contre cette guerre coloniale et participe à des actions courageuses avec l’Action civique non-violente (ACNV) initiée par la Communauté de l’Arche fondée par Lana del Vasto. Au moment de la guerre froide, Jean n’hésite pas à aller distribuer des tracts à Moscou sur la Place rouge contre les armes nucléaires.
À partir de 1962, Jean et Hildegard son épouse sont souvent en Amérique latine pour soutenir des communautés de base catholiques en lutte contre la pauvreté et les dictatures au Brésil, en Argentine, au San Salvador... Son témoignage en faveur de la non-violence marque beaucoup de personnes, dont Adolfo Pérez Esquivel qui devint par la suite prix Nobel de la paix. Une solide amitié marqua les deux hommes.

Les années 1980 ont vu Jean aux Philippines, au Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo), au Bangladesh et ailleurs encore. Jean marchait avec une canne à la fin de sa vie, comme un vieux pèlerin toujours alerte pour parler de « sa » non-violence. Homme chaleureux, avec un sourire franc, aimant l’humour, aux propos parfois à l’emporte-pièce, Jean ne laissait jamais indifférent. Il ne partagea que peu souvent les options du Man qu’il jugeait trop politiques.

Pour comprendre son audace, une anecdote me revient. J’étais à Montpellier au début des années 1970. Jean y passait pour y rencontrer le groupe non-violent de cette ville. Or, le même jour que sa petite conférence, les viticulteurs du Midi venaient dans cette ville de s’affron- ter avec violence aux CRS eux-mêmes fort violents. Pris de panique, les viticulteurs s’étaient réfugiés dans la cathédrale qu’ils avaient investie pour y tenir un siège. Apprenant cela lors de sa conférence, Jean décida d’y aller à 23 heures ! Tout en réussissant à déjouer le cordon des CRS, il finit par entrer dans la cathédrale par une porte dérobée. Nous l’attendions dehors. Comme il n’était toujours pas réapparu à 1 heure du matin, nous repartîmes. De fait, Jean y resta jusqu’à 4 heures du matin pour discuter de non-violence avec les viticulteurs. À l’heure du petit-déjeuner, Jean nous dit « ça y est, tous les viticulteurs ont adopté la non-violence, ça n’a pas été facile, mais c’est bon maintenant ! » Le petit problème est que le lendemain les viticulteurs reprirent leur manifestation violente contre les CRS qui n’attendaient que cela.

Cette anecdote montre quelque chose de ce que l’on peut appeler la naïveté de Jean. Il pensait que ses auditoires passaient à la non-violence active pour la simple raison qu’ils avaient écouté ses propos et entendu sa voix forte. À entendre Jean, la non-violence devenait l’apanage de toute l’Amérique latine et de toute l’Afrique. Ce côté excessif agaça plus d’un militant non-violent en France, d’autant plus que « sa » non-violence donnait parfois l’impression de manquer sérieusement de fondements théoriques. Jean a eu autant d’amis non- violents en France que de personnes dubitatives sur son action, mais nous pouvons toutefois penser que toutes ont reconnu chez lui son énergie et son courage pour faire avancer notre monde vers plus de justice, de paix et de fraternité. I


Article écrit par François Vaillant.

Article paru dans le numéro 160 d’Alternatives non-violentes.