Le phénomène est récent. Des fonctionnaires, maintenant rejoints par des salariés du privé, osent désobéir à des consignes et règles de leur hiérarchie qui voudrait les contraindre à des pratiques professionnelles déshumanisantes. Ils sont enseignants, conseillers Pôle emploi, agents EDF, forestiers, psychiatres et infirmiers psychiatriques, magistrats, cadres dans le privé… Ils refusent d’accomplir les basses œuvres qu’exige d’eux la politique de Nicolas Sarkozy et de ses invités au Fouquet’s. Ces professionnels désobéissent en conscience contre la déconstruction des services publics en posant courageusement des actes de résistance/désobéissance. Contre la course au chiffre, l’évaluation à outrance et le fichage, ils relèvent la tête pour que leur éthique professionnelle cesse d’être piétinée.
Ce sont des enseignants qui désobéissent à des circulaires ministérielles pour protéger l’accueil et le travail des élèves. Ce sont des conseillers de Pôle emploi qui volontairement prennent le temps d’écouter des demandeurs d’emploi au lieu de les expédier en un temps chronométré d’avance. Ce sont des agents EDF qui rétablissent d’eux-mêmes le courant dans des foyers que la crise a défavorisés. Ce sont des forestiers de l’ONF qui refusent l’abattage abusif d’arbres. Etc.
On parle de désobéissance éthique pour nommer cette forme de résistance, de non-coopération, depuis la parution du livre magistral d’Élisabeth Weissman La désobéissance éthique (Stock, 2010). Cette appellation est juste, car elle qualifie parfaitement le faire-valoir des exigences éthiques qu’opère cette résistance/désobéissance. En quoi se distingue-t-elle de la désobéissance civile ?
La désobéissance éthique englobe en quelque sorte les postures de la désobéissance civile et de l’objection de conscience, qui, elles, sont spécifiques (voir ANV n° 142 et n° 149). La désobéissance éthique est souvent isolée, individuelle, et s’organise peu à peu pour critiquer des règles imposées par l’employeur, alors que la désobéissance civile, elle, se situe dans l’opposition collective à une loi générale valable pour tous les citoyens. Il y a de la désobéissance éthique dans tout acte de désobéissance civile, mais l’inverse ne vaut pas au sens strict.
La désobéissance éthique a un bel avenir devant elle, tant elle apparaît adaptée au monde du travail tel qu’il va aujourd’hui. Et force est de constater que « éthique » renvoie, dans « désobéissance éthique », à la notion de non-violence pour qui l’humanité de tout homme vaut plus que n’importe quel profit ou rendement. Les médias font actuellement connaître cette forme de résistance/désobéissance. Mais il est lamentable que les centrales syndicales ne s’y intéressent pas encore vraiment, tant elles demeurent encore rivées à des modes de luttes traditionnels ; ce qui peut être une raison de plus pour se syndiquer et se faire entendre.
Alors que le paysage social continue de s’assombrir, que la passivité et la violence restent des impasses, la désobéissance éthique porte en elle les semences de la logique d’action non-violente collective, toujours opérante pour déjouer la répression et construire une société solidaire et heureuse, démocratique et respectueuse de la dignité humaine.