L’oubli est souvent le pire ennemi de la non-violence. Le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin va être abondamment célébré le 9 novembre 2009. La presse internationale va certainement rappeler avec raison la liesse populaire qui s’est alors emparée de Berlin fin 1989, mais nous replongera-t-elle dans l’enchaînement des causes qui, sur plus de vingt ans, a permis d’aboutir à ce fameux 9 novembre ?
Faut-il rappeler que les pays occidentaux ne sont pour quasiment rien dans la chute du Mur ? Leurs armes atomiques stockées alors en France, Belgique, Italie, Grèce, Turquie… n’ont servi à rien dans l’effondrement des régimes communistes des pays de l’Est, pas plus que leurs politiques extérieures, frileuses et protectionnistes. Par ailleurs, combien de Français(es) pouvaient citer les pays qui entouraient la RDA, la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Roumanie… ? Le rideau de fer, établi par Moscou, avait réussi à complètement isoler les pays de l’Est de ceux de l’Ouest.
Il me revient souvent en mémoire les images de mes passages en voiture du rideau de fer, entre l’Autriche et la Tchécoslovaquie, quand nous étions plusieurs partisans de la non-violence à voyager en Pologne pour y soutenir Solidarnosc dans les années 1980. Le passage du Mur de Berlin était également un moment saisissant, glacial. C’était partout la même histoire : fouille du véhicule pendant souvent deux heures, chiens en laisse, projecteurs, interrogatoires à n’en plus finir ; on entrait dans le royaume de la peur.
Il n’y avait cependant dans les pays de l’Est ni chômage ni misère. Ce qui les caractérisait tant étaient l’absence de libertés individuelles, une censure omniprésente, une pénurie des biens de consommation courante, assortie d’une fréquente pauvreté et d’un environnement écologique littéralement massacré. Le drame était aussi que tout le monde avait l’impression d’être surveillé par tout le monde. Non par vidéosurveillance, mais par son voisin de palier, son camarade de travail… Les régimes communistes avaient réussi à s’édifier et se déployer sur la peur du voisin et de la police, apte à dénoncer et arrêter quiconque était susceptible de critiquer un tant soit peu le gouvernement de son pays. Combien la droite française savait exploiter tous ces phénomènes comme autant d’épouvantails pour mieux asseoir sa politique droitière !
Mais, à la différence de ce qui se passait alors en Amérique latine (Chili, Argentine…), les régimes communistes des pays de l’Est ne pratiquaient pas la disparition physique des opposants politiques. À l’Est, la police les emprisonnait pour un rien, elle ne les tuait cependant pas comme c’était alors monnaie courante dans tant et tant de pays d’Amérique latine et centrale.
Le Mur de Berlin est tombé, non grâce aux Occidentaux, mais parce que, depuis au moins 1968, des hommes et des femmes osaient braver les régimes communistes, droit dans les yeux, avec la force de la non-violence. Nul n’a le droit d’oublier le Printemps de Prague[1], la Charte 77 en Tchécoslovaquie, Solidarnosc en Pologne, le rôle des Églises protestantes en RDA… Ce sont ces minorités agissantes qui ont entraîné leurs peuples respectifs à ne plus avoir peur, à entrer en dissidence au prix du combat non-violent qui se traduisait par d’innombrables tracasseries et humiliations, avec souvent de la prison.
N’oublions jamais l’histoire des résistances civiles des peuples des pays de l’Est. Ce sont elles qui, lentement mais sûrement, ébranlèrent le Mur de la honte qui a fini par s’écrouler le 9 novembre 1989. Le mur en Palestine sera aussi un jour démoli, quand… L’histoire reste malheureusement encore à écrire.
[1] Voir l’article « La résistante non-violente d’août 1968 en Tchécoslovaquie », dans le n° 149 d’ANV.