Pour mieux comprendre la pensée et la philosophie de Jaurès, le texte qui suit donne à lire quelques citations sélectionnées.
La pensée de Jean Jaurès ne saurait être résumée par quelques citations. Il nous est apparu cependant utile d’en choisir quelques-unes pour honorer notre commun courage du futur.
L’éducation pour Jaurès
J’en veux mortellement à ce certificat d’études primaires qui exagère encore ce vice secret des programmes. Quel système déplorable nous avons en France avec ces examens à tous les degrés qui suppriment l’initiative du maître et aussi la bonne foi de l’enseignement, en sacrifiant la réalité à l’apparence. (1888) De l’éducation, op. cit., p. 97
Il faut que le maître soit tout pénétré de ce qu’il enseigne. (1888) De l’éducation, op.cit., p. 95
Quiconque ne rattache pas le problème scolaire ou plutôt le problème de l’éducation à l’ensemble du problème social se condamne à des efforts ou à des rêves stériles. (1906) Jean Jaurès, Éducation post-scolaire, 30 septembre 1906, cité dans De l’éducation, op. cit., p. 295
Oh ! je ne demande pas aux jeunes gens de venir à nous par mode. Ceux que la mode nous a donnés, la mode nous les a repris. (…) Mais je demande à tous ceux qui prennent au sérieux la vie, si brève même pour eux, qui nous est donnée à tous, je leur demande : qu’allez-vous faire de vos vingt ans ? (1914) Extrait du discours prononcé par Jaurès aux obsèques de Francis de Pressensé (22 janvier 1914), cité dans Jean Jaurès, l’époque et l’Histoire, Castres, Éd. Centre national et musée Jean-Jaurès de Castres, 1999, p. 129
Le républicain Jaurès a toujours été favorable aux musées, lesquels donnent à voir au public les oeuvres d’art : « Un chef-d’oeuvre est diminué à n’être possédé que par quelques-uns… Le chef-d’oeuvre est rapetissé à n’être admiré que par quelques-uns… Le chef-d’oeuvre veut que l’humanité tout entière vienne mirer en lui son âme changeante. » Sur les pas de Jaurès (dir. Alain Boscus et Rémy Cazals), Toulouse, Privat, 2005, p. 127
La République pour Jaurès
Je n’ai jamais séparé le République des idées de justice sociale sans laquelle elle n’est qu’un mot. (1887) Propos de Jaurès sur un panneau du Musée Jean-Jaurès, à Castres.
Qu’est-ce donc que la République ? C’est un grand acte de confiance. Instituer la République, c’est proclamer que des millions d’hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action ; qu’ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l’ordre ; qu’ils sauront se combattre sans se déchirer ; que leurs divisions n’iront pas jusqu’à une fureur chronique de guerre civile, et qu’ils ne chercheront jamais dans une dictature même passagère une trêve funeste et un lâche repos. Instituer la République, c’est proclamer que les citoyens des grandes nations modernes, obligés de suffire par un travail constant aux nécessités de la vie privée et domestique, auront cependant assez de temps et de liberté d’esprit pour s’occuper de la chose commune. (1903) De l’éducation, op. cit., p. 41
La devise de la République sociale sera : ni oligarchie, ni bureaucratie, mais une vaste coopération sociale où les règles d’action seront déterminées par tous, et où l’autonomie des individus et des groupes se conciliera le plus largement possible avec l’unité de l’effort et la coordination des énergies. (1906) De l’éducation, op. cit., p. 136
Chaque jour, la vanité des intrigues parlementaires, les scandales qui éclataient sous nos pas et nous révélaient le pouvoir caché et souverain de la finance, le mouvement de recul dont le ministère Rouvier fut la marque, tout m’apprenait qu’il s’était constitué dans la République une oligarchie bourgeoise. (1897) Cité dans Jean Jaurès, l’époque et l’Histoire, Castres, Éd. Centre national et musée Jean-Jaurès de Castres, 1999, p. 24
Monsieur le Président du Conseil, vous ne voulez pas faire la politique républicaine, eh bien, c’est nous, socialistes, qui allons la faire à votre place et vous serez obligés de vous battre contre nous avec le soleil dans les yeux. Henri GUILLEMIN, Jean Jaurès, Bats, Éd. Utovie, 2006, p. 19
« La République à laquelle Jaurès est extrêmement attaché est une étrange et merveilleuse synthèse : c’est à la fois une République rationnelle, héritée de Descartes et surtout de Condorcet, une République laïque à la F. Buisson et J. Ferry, une République morale héritée de Kant et Proudhon, une République libérale et juridique qui emprunte à Locke et paradoxalement à Rousseau, une République très patriotique en même temps que très universelle, celle de Lamartine et de Michelet ; c’est enfin et surtout une République sociale (…). » 11 Bernard QUELQUEJEU, dans un document interne à ANV, 2006.
Le socialisme pour Jaurès
Le mot « socialisme » apparaît publiquement pour la première fois sur les lèvres de Jaurès quand, à 27 ans, il prend la parole pour la première fois à la tribune de la Chambre des députés, en 1886. Il propose alors une loi pour que soient instaurées des retraites ouvrières. Il n’y en avait encore aucune, et la première loi en instituant datera de 1910. « Si cette loi est votée, dit-il en 1886, elle sera le premier pas sur la voie du socialisme vers quoi tout nous achemine. » Cité par Henri GUILLEMIN, Jean Jaurès, Bats, Éd. Utovie, 2006, p.13
Le socialisme n’est pas une momie enveloppée de bandelettes doctrinales. Nous avons des idées directrices, mais nous sommes un parti vivant, nous poursuivons notre œuvre de justice, non dans le vide, mais au travers des réalités multiples et diverses de la société présente. (1893) La Dépêche, janvier 1893
Le socialisme ne consistera pas seulement à appeler à la liberté, à appeler à l’autonomie, à appeler à la dignité humaine et à la responsabilité dans l’atelier, tous les prolétaires d’aujourd’hui, mais la totalité des individus humains. Le socialisme ne sera pas l’organisation d’une classe, mais l’organisation de la nation affranchie. (1908) Propos de Jaurès sur un panneau du Musée Jean-Jaurès, à Castres.
« La pensée jaurésienne est donc bien une pensée révolutionnaire (il n’est pas question d’aménager le capitalisme, mais bien de le détruire), mais cette “évolution révolutionnaire” passe par une action légale et réformiste. » De l’éducation, op. cit.,, propos de Catherine Moulin, p. 20
La laïcité pour Jaurès
L’enseignement public ne doit faire appel qu’à la raison, et toute doctrine qui ne se réclame pas de la seule raison s’exclut elle-même de l’enseignement primaire. Vous nous dites tous les jours que c’est nous qui avons chassé Dieu de l’école, je vous réponds que c’est votre Dieu qui ne se plaît que dans l’ombre des cathédrales. (1886) Jean Jaurès, De l’éducation (Anthologie), textes présentés par Catherine MOULIN et Gilles CANDAR, Paris, Éditions Syllepse, 2005, p. 35
Jamais je n’ai dit — là est la ruse cléricale et l’abominable mensonge — que c’est par la violence, dans la famille ou dans l’État, qu’il fallait abolir les antiques croyances. (…) Jamais je n’ai dit que le parti socialiste, maître de l’État, userait de violence pour abolir le culte traditionnel. Cité par Jean RABAUT, Jean Jaurès, Paris, 1981, p. 138
C’est parce que l’Église s’est faite le centre de tous les privilèges que nous voulons, sans colère mais sans hésitation, abolir les privilèges de l’Église elle-même et préparer ainsi la ruine des autres privilèges. Idem, p. 32
L’humanité pour Jaurès
Je trouve médiocres les hommes qui ne savent pas reconnaître dans le présent la force accumulée des grandeurs du passé et le gage des grandeurs de l’avenir. Je ne méconnais donc pas le présent. (1910) De l’éducation, op. cit., p. 85
De cette passion de l’humanité, quelque chose sortira qui sera plus grand que l’humanité elle-même, et de l’ardente nuée humaine jaillira un éclair divin. (…) Il faut donner à tous une égale part de droit politique, afin que dans la Cité aucun homme ne soit l’ombre d’un autre homme, afin que la volonté de chacun concour à la direction de l’ensemble et que, dans les mouvements les plus vastes de la société, l’individu humain retrouve la liberté. (1898) Revue de Paris (décembre 1898), cité dans Jean Jaurès, l’époque et l’Histoire, Castres. Éd. Centre national et musée Jean-Jaurès, Castres, 1999, p. 43
La guerre et la paix pour Jaurès
Un peu d’Internationalisme éloigne de la patrie : beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale : beaucoup de patriotisme y ramène. (1910) L’armée Nouvelle, cité dans Jean Jaurès, l’époque et l’Histoire, Castres, Éd. Centre national et musée Jean-Jaurès, Castres, 1999.
Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle parle de paix, même quand elle est à l’état d’apparent repos, porte en elle la guerre comme la nuée dormante porte l’orage. (1895) Extrait d’un discours de Jaurès à la Chambre, en date du 7 mars 1895, cité par Jean RABAUT, 1914, Jaurès assassiné, Bruxelles, Éd. Complexe, p. 20
Toute guerre est criminelle si elle n’est pas manifestement défensive ; et elle n’est manifestement défensive que si le gouvernement du pays propose au gouvernement étranger avec lequel il est en conflit de régler le conflit par un arbitrage. (1912) Cité par Jean RABAUT, 1914, Jaurès assassiné, Bruxelles, Éd. Complexe, p. 17
La non-violence avec Jaurès
À Saint-Étienne, en 1900, après qu’une grève de passementiers ait tourné à l’émeute, puis à une répression policière féroce, Jaurès écrit dans La Petite République : « Citoyens, ne faisons ni les uns ni les autres le jeu des ennemis de la République et du peuple, et prouvons par notre calme que nous sommes maîtres de nous-mêmes et dignes des plus hautes destinées. » Sur les pas de Jaurès, op. cit., p. 137
L’affirmation de la paix est le plus grand des combats. (1914) Propos de Jaurès aux obsèques de Pressensé, le 29 janvier 1914, cité par Jean RABAUT, 1914, Jaurès assassiné, Bruxelles, Éd. Complexe, p. 179
Je ne leur dis pas non plus : révoltez-vous par la force. Je veux qu’ils obtiennent et qu’ils imposent la paix par des moyens de paix. (1911) Propos tenu par Jaurès lors de sa conférence sur Tolstoï, reproduite intégralement dans : Jean-Pierre RIOUX, Jaurès. Rallumer tous les soleils, Paris, Omnibus, pp. 830-831
La calomnie est vaine comme une goutte de poison jeté dans un torrent. (1911) L’Humanité, 27 juillet 1911, cité par Jean RABAUT, 1914, Jaurès assassiné, Bruxelles, Éd. Complexe, p. 43
Messieurs, il n’y a qu’un seul moyen d’abolir enfin la guerre entre les peuples, c’est d’abolir la guerre entre les individus, c’est d’abolir la guerre économique, le désordre de la société présente, c’est de substituer à la lutte universelle pour la vie — qui aboutit à la lutte universelle sur les champs de bataille — un régime de concorde sociale et d’unité. (1894) JAURÈS, La Dépêche de Toulouse, 11 décembre 1894, cité par Gilles CANDAR, Jean Jaurès. “L’intolérable”, Paris, Éditions ouvrières, 1984, p. 104
Ils ont écrit au sujet de l’œuvre Jaurès
Madeleine Rebérioux : « Jaurès (…) continue d’indiquer le chemin, la défense de la République.
Mieux : la promotion des lendemains républicains. » Jaurès. La parole et l’acte, de Madeleine REBÉRIOUX, Paris, Découvertes Gallimard, coll. Découvertes-Histoire n° 220, pp. 21-22
Jean-Pierre Rioux : « Jaurès a fait montre également d’un goût persévérant et très affirmé aussi pour la négociation patiente, le jugement sur dossiers, l’assaut minuscule mais répété qui finit par ruiner l’adversaire, bref pour l’exercice constant d’un bon sens réformiste qui désarmait la méchanceté et la violence, faisait taire la douleur ou redonnait courage. » Jean-Pierre RIOUX, Jean Jaurès, Paris, Perrin, 2005, p. 224
Chantal Georget : « La beauté tient une grande place dans la vie des hommes les plus occupés. » Ainsi commence la trente-sixième leçon du cours de philosophie dispensée par le jeune professeur Jaurès au lycée Louis-Rascol d’Albi en 1882. (…) À cette profession de foi de jeunesse fait écho, en 1920, l’hommage rendu au grand défunt, par Albert Bedouce, député de Haute-Garonne : « Nul musée n’a gardé de chef-d’œuvre inconnu pour lui dans les villes du monde où il passait. »
Hommage posthume confirmé en 1972 par la nièce de Jaurès : « Il n’allait jamais dans une ville où se trouvait un musée sans visiter le musée, et avec quel plaisir, et avec quelle minutie ! Et c’était rare que, de cette ville, il n’envoyât pas à l’un de ses proches une carte postale représentant soit un tableau, soit le musée si c’était un monument intéressant, soit encore un autre monument, la cathédrale par exemple. » Extrait du livre Sur les pas de Jaurès, sous la dir. de Alain Boscus et Rémy Cazals, Toulouse, Privat, 2005, à la contribution de Chantal Georgel « Les musées de Jaurès », p. 119
Bernard Quelquejeu : « Ma conviction et qu’on ne peut pas dire que Jaurès a été non-violent. Mais on peut tirer de sa vie et de ses œuvres des enseignements politiques et stratégiques qui intéressent très vivement les artisans de la non-violence. » Extrait d’un document interne à ANV, 2006.
Henri Guillemin : (la critique du cléricalisme par Jaurès) « C’est l’utilisation du spirituel à des fins temporelles, la plupart inavouables. » Henri GUILLEMIN, Jean Jaurès, Bats, Éd. Utovie, 2006, pp. 21-22
Bruno Frappat : « Si, aujourd’hui, tout le monde, à gauche, s’approprie Jaurès, des socialistes aux communistes, ce ne peut être qu’à la suite d’une succession de malentendus sur sa pensée. » La Croix, 23 février 2006
Société d’études jaurésiennes
La Société d’études jaurésiennes, fondée en 1959, est présidée par Ernest Labrousse (1895-1988), puis à partir de 1982 par Madeleine Rebérioux (1920-2005). Elle est ouverte à tous ceux qui, sans conditions de diplôme ou d’opinion, veulent contribuer à faire connaître la vie, l’œuvre et la pensée de Jaurès, à saisir ses apports au socialisme, à la démocratie et à l’humanité, à comprendre son temps et le nôtre.
Cette société amicale et scientifique constitue un lieu du souvenir et de la mémoire, un lieu de recherche, d’échanges et d’histoire. La Société travaille à une édition scientifique des Œuvres de Jean Jaurès. Les quatre premiers volumes sont parus en 2000 et 2001 aux éditions Fayard. Les quatorze suivants paraîtront à partir de 2007. La Société organise des colloques en collaboration avec d’autres institutions, notamment le Centre national et musée Jean-Jaurès de Castres (81) et le musée de l’histoire vivante de Montreuil-sous-Bois (93). Les Cahiers Jaurès, revue trimestrielle publiée par la Société d’études jaurésiennes, rendent régulièrement compte de ces recherches. Ils ont pris la suite de Jean Jaurès, bulletin de la SEJ, puis de Jean Jaurès, cahiers trimestriels, qui paraissent depuis 1960 et comptent 180 numéros parus à ce jour. Les actes des colloques Jaurès et la classe ouvrière (1976), Jaurès et les intellectuels (1988) ont été publiés par les Éditions de l’Atelier, Sur les pas de Jaurès. La France 1900 (2000) par Privat. Pour une première approche de la vie de Jaurès, voir Madeleine Rebérioux, Jaurès. La parole et l’acte, Gallimard, « Découvertes », 1994, ou encore Max Gallo, Le Grand Jaurès, Robert Laffont, 1984 et Jean-Pierre Rioux, Jaurès, Perrin, 2005. Signalons aussi le n° récent de TDC, Textes et documents pour la classe, n° 867, 1er janvier 2004. Pour lire les principaux textes de Jaurès, les anthologies les plus utilisables sont :
L’Intolérable, éd. Gilles Candar, Éditions ouvrières/de l’Atelier, 1984, 168 p., 9,85 € Textes socialistes (Socialisme et Liberté, Discours à la jeunesse), éd. Gilles Candar, Bruno Leprince, 2003, 128 p., 7,50 €
De l’éducation, éd. Guy Dreux, Christian Laval et Catherine Moulin, préface de Gilles Candar, Syllepse / « Nouveaux regards », 2005, 308 p., 20 €
Laïcité et république sociale, éd. Gilles Candar, préface d’Antoine Casanova, Le Cherche Midi, 2005, 240 p., 15 €
Rallumer tous les soleils, éd. Jean-Pierre Rioux, Omnibus, 2006, 960 p., 28 € [le plus complet et le plus récent]