Pourquoi la non-violence reste-t-elle si méconnue en France ? Il est rare que le terme non-violence soit employé à la télévision, à la radio ou dans un journal. Il en va différemment par exemple en Allemagne, en Italie ou en Grande-Bretagne pour ce qui concerne cette référence en matière éthique et politique. D’où provient chez nous cette absence ? Puisque nous constatons là une triste exception française, il convient de tenter quelques explications. C’est l’objet du dossier de ce numéro.
Du vivant de Gandhi, seuls Romain Rolland, puis un peu Emmanuel Mounier et ensuite beaucoup Lanza del Vasto, ont montré que la non-violence a pour horizon de civiliser l’existence humaine en débusquant les processus de légitimation et de justification qui voudraient faire de la violence un droit. La violence n’est pas un droit humain, mais partout une impasse qui rend aveugle avec les conséquences meurtrières que l’on sait. En dehors des trois grandes figures d’intellectuels français nommés ci-dessus, force est de constater, au sujet du mot non-violence, le désert dans la production littéraire jusqu’aux années 1970.
Depuis, de nombreux écrits, il est vrai, ont été consacrés à la non-violence. Que l’on songe seulement aux ouvrages de Jean-Marie Muller ou à celui de Jacques Semelin, La non-violence racontée à mes filles (Seuil, 2000), édité à 30 000 exemplaires. Malgré le fait que nous vivons à une époque où, de fait, il n’y a jamais eu autant de livres consacrés à la non-violence, celle-ci reste peu reconnue, même si le deuxième Salon des initiatives de paix (Paris) ou le festival Camino (près de Toulouse) ont drainé chacun plusieurs milliers de participants enthousiastes à la Pentecôte 2006.
Espérons cependant que la non-violence ne devienne jamais une mode, comme être marxiste en fut une dans les années 1960, ou être gauchiste en fut également une dans les années 1970, et qu’aujourd’hui être néo-libéral est de bon teint. Épouser benoîtement une opinion majoritaire, c’est-à-dire une doxa comme disaient les Grecs, n’est jamais facteur d’intelligence et de liberté.
Ceci étant dit, pourquoi la non-violence reste-t-elle si méconnue en France ? Faut-il aller en débusquer la raison dans l’influence que Jean- Paul Sartre continue d’avoir, alors qu’Albert Camus semble un peu oublié ? Sartre n’aurait-il pas gagné contre Camus, alors que ce dernier avait su dire « non » à la violence ? Le débat est ouvert dans ce numéro d’ANV.