En éducation, poser une contrainte : un acte non-violent
La sanction éducative pose une contrainte étrangère à la violence, éduquant ainsi au respect des lois et des règles.
En éducation, poser une contrainte : un acte non-violent
La sanction éducative pose une contrainte étrangère à la violence, éduquant ainsi au respect des lois et des règles.
Beaucoup d’éducateurs aimeraient éviter d’avoir à sanc- tionner. Garder cela en extrême limite quand on ne peut plus faire autrement, comme si c’était le constat d’un échec de leur relation éducative, où s’expliquer devrait suffire !
Mais, ces éducateurs en arrivent parfois, après s’être beaucoup retenus, à « leur » seuil de l’insupportable. Ou bien, ils réalisent que leur petit dépasse les bornes du « mora- lement » ou « socialement » acceptable. Ils risquent alors de tomber les pieds joints dans les pièges qu’ils voulaient éviter : le geste qui soulage la colère de l’adulte, la punition dont le sens va d’autant plus échapper à l’enfant que son parent n’en n’est pas coutumier. On peut se consoler en se disant que c’est mieux que ne rien faire du tout, qu’il faut bien mettre des limites , que c’est exceptionnel, qu’on lui expliquera après. Ou alors, selon le tempérament, on culpabilise.
Il faut bien lui dire stop !
Et si la contrainte n’était pas forcément la violence ? Nous n’aimons pas la contrainte, comme nous n’aimons pas choisir. Faire de la peine à ce petit qu’on aime, endosser le rôle du parent pas gentil, et risquer de déplaire, ou encore avoir l’impression de passer dans le camp des éducateurs qu’on critiquait. Ce n’est pas facile, quand on est militant de l’éducation nouvelle, ou d’une éducation non-violente, que l’on a lu Fernand Deligny, que l’on revendique les pratiques de Célestin Freinet qui a dit que la punition est autant humi- liante pour celui qui la donne que pour celui qui la reçoit. Ce n’est pas facile de sanctionner.
Mais il faut bien lui dire « stop ! » à ce petit citoyen en herbe. Alors on en vient de temps en temps à le menacer « de choses suffisamment désagréables pour lui passer l’envie de faire ses bêtises », tout en rêvant de ne jamais avoir à mettre à exécution la menace. Une toute petite fessée... Je ne peux m’empêcher de penser à la justification de la dissuasion (pas toujours nucléaire), et à ce petit qui deviendra grand et mettra peut-être son père au défi de faire ce qu’il lui promet. En plus positif, nous faisons parfois un échange de bons procédés : « Tu acceptes de te tenir tranquille et moi je t’encourage en te promettant la permission de sortir samedi. » Ce procédé n’est-il pas cependant un petit chantage ?
Malgré tous nos discours pour distinguer sanction et punition, nous restons culturellement conditionnés à penser « qui aime bien évite de sanctionner », mais quand on en vient à sanctionner, il arrive que nos sanctions ressemblent à des punitions. « Châtiment », « punition » et « sanction » n’ont pas la même signification. L’étymologie est ici éclairante. « Châtiment » dérive du verbe latin castigare (châtier violemment), « punition » de punire (frapper, venger), et « sanction » de sancere (rendre irrévocable la loi).
La loi et toutes les règles
La loi est ce tiers qui a comme fonction psychologique fondamentale de m’aider à me structurer et à échapper à mon désir de toute puissance. La loi a comme fonction politique de traduire des valeurs universellement accep- tables, comme la garantie d’un espace de liberté et de digni- té pour chacun.
La loi a comme fonction sociale d’organiser et de formaliser les distances, les liens et les statuts pour prévenir les prises de pouvoir sauvages. Ainsi décrite, la loi est l’outil de la non-violence par excellence. La loi démocratiquement élaborée, la loi dite, « l’interdit », la loi parlée, expliquée, est porteuse de sens.
De la différence entre la loi et les règles
La règle n’est pas la loi. Elle en porte pourtant la nature et les fonctions, psychologique, politique et sociale. Elle a en plus une fonction éminemment pédagogique. Les règles sont comme de petites lois de proximité, accessibles et régissant les préoccupations quotidiennes.
Les règles non négociables d’une institution ou d’une famille sont ce « legs », cet héritage, que je ne choisis pas quand j’arrive quelque part.
Les règles négociables et co-élaborées sont autant d’occasions de s’exercer à son rôle de citoyen « parlementaire », en s’interrogeant sur le sens de la loi, et sur les conditions pour établir des règles justes et efficaces. Elles nous font accéder à la loi-alliance, au sens commun, elles permettent l’adhésion au contrat social. Les règles du jeu sont d’abord faites pour jouer. Les faire respecter avec autorité, c’est autoriser chacun à jouer !
Garantir la loi et les règles en posant une contrainte
Garantir la loi et les règles, c’est faire acte de non-violence. L’efficacité ne peut venir que de paroles et de sanctions qui font accéder au sens de la loi et des règles qu’elles prétendent garantir.
Le moyen qui par excellence conduit à la compréhension est la parole. Parole qui explique, parole qui rassure, parole qui dit fermement les limites et les valeurs. Mais parfois, la parole n’est pas, ou ne peut pas être entendue. La contrainte alors s’impose. Quand parler ne suffit pas, ou quand trop parler prend la forme d’un discours moralisant et accusateur, il est incontournable de passer aux actes.
On ne condamne pas la personne, car on croit aux res- sources de l’être, mais on sanctionne l’auteur pour son acte. La transgression est plus qu’une « envie de », une intention ; elle est un passage à l’acte. Il est important que la sanction soit, elle aussi, plus qu’une « envie de », un souhait. Elle doit être, en réponse, un acte posé. Pas un acte vengeur et destructeur, mais un acte qui se veut constructif. Un acte qui signifie : « Là, tu avais une limite, tu l’as transgressée, on met en place quelque chose. » On oppose un acte qui permet la réparation. Qui permet la déculpabilisation. Un acte qui permet la réinsertion.
Garantir la loi et les règles en posant des contraintes, c’est faire acte de non-violence. Sanctionner pour faire appliquer la règle est un service rendu à l’enfant et à son entourage. Oui, contraindre celui ou celle qui transgresse la loi ou les règles, volontairement ou non, et même pour des raisons valables, est un acte. Il ne s’agit pas de menacer de contraindre un autre jour, mais bien de poser un acte ici et maintenant.
L’objectif n’est pas de blesser ou de faire de la peine. Ce n’est pas la souffrance infligée qui rend la contrainte efficace. La souffrance engendre colère ou peur. Il ne s’agit pas pour l’adulte de soulager son trop-plein de colère. L’objectif de la sanction, ce n’est pas non plus d’éviter à tout prix d’être désagréable. La sanction peut être vécue comme très « gênante » par le sanctionné, mais ce n’est pas cette gêne qui en est l’objectif. Et une sanction plaisante, agréable à réaliser peut quelquefois parfaitement remplir sa fonction.
Dans la transgression il y a violence et souffrance. Dans la réponse à cette violence par la sanction, la violence « zéro » n’existe pas. Le fait que l’intention de l’adulte ne soit pas la violence n’ implique pas que l’ enfant le perçoive ainsi. L’important est de faire globalement baisser le niveau de violence, en réintroduisant de la parole et du sens.
Les frustrations nécessairement générées par les sanctions éducatives réinscrivent l’intéressé dans la réalité sociale : il n’est pas seul au monde, les autres existent, le groupe existe avec une organisation collective et des règles, qui attribuent à chacun sa place, le protègent en lui assurant un espace de liberté, à « juste distance » des autres, c’est-à-dire une distance qui permet de passer de la fusion, de la confusion, à la relation. La sanction sort l’individu de la toute-puissance.
Ne pas ré-agir à une transgression, c’est être inconsé- quent. À noter que nos amis éducateurs et enseignants qué- bécois ne parlent, dans leurs règlements intérieurs, ni de punition, ni de sanctions, mais de « conséquences ».
Une transgression, c’est trois faits
Une transgression, c’est le plus souvent trois faits à la fois :
- un dommage à quelqu’un, et cela engage la responsabilité civile de l’auteur ;
- une loi, une règle bafouée, et cela engage sa responsabilité pénale, juridique ;
- la transgression est aussi un message qui engage la respon- sabilité de l’auteur sur sa propre vie : pourquoi cet acte ? pour répondre à quel(s) besoin(s) ?
Responsabiliser l’enfant exige à la fois de lui « répondre » et de le contraindre à « répondre de ses actes ». Face à la transgression, pour une triple responsabilité, l’ éducateur « conséquent » ne doit pas poser une, mais trois contraintes :
- l’obligation de la réparation ou la mise hors d’état de nuire. Réparation concrète, réparation compensatoire ou réparation symbolique ;
- la privation momentanée d’un droit dans le groupe, droit directement lié au bon usage de la règle bafouée. Cette pri- vation doit être l’occasion d’un travail de meilleure compré- hension de cette règle et de ce qu’elle permet au groupe ;
- une contrainte de réflexion : mettre des mots sur les intentions, les motifs, les malaises ayant entraîné ce com- portement.
Contraindre à réfléchir pour agir
Il ne s’agit pas, sous la contrainte, de faire avouer ce qui jugé inacceptable. Nous éviterons les dérives des aveux forcés tristement célèbres dans certains camps de « rééducation ». Il s’agit plutôt de se poser ensemble les questions : « comment en est-on arrivé là ? » « Quelles sont les conséquences de cet acte, de ce comportement ? »
Ne cherchons pas à obtenir à tout prix l’accord du sanctionné, il a son libre avis sur la question. Ne lui demandons pas non plus de décider ce qu’il « mérite ». Il y a la loi et les règles avec ses garants officiels pour cela.
Offrons-lui seulement l’espace qui rende possible une réflexion et une évolution. Entretien, travail écrit, exposé sur les conséquences de tel comportement, questionnement sur le règlement, recherche de solutions avec le groupe..., les moyens ne manquent pas ! Le but n’est pas la difficulté ou le désagrément, mais bien la prise de conscience : évitons de basculer à nouveau du côté « punition », par un « pour la peine, tu me copieras ce que dit la loi à ce sujet » !
La contrainte est souvent nécessaire pour empêcher le contrevenant d’éluder le problème, de rester « la tête dans le sable », comme savent si bien le faire les autruches. Il peut être fatigant pour un adolescent de se poser les questions qui l’amèneraient à exercer plus activement ses responsabilités. On en connaît qui préfèrent, dans un premier temps, la puni- tion stupide..., et qu’on n’en parle plus ! La contrainte est réel- le quand l’éducateur énonce : « Avant de reprendre tes activi- tés, nous voulons que tu aies choisi la manière de te comporter la prochaine fois que tu te retrouveras dans une situation sem- blable, et tu peux nous dire ou non ce que tu auras décidé. »
Le pédagogue est celui qui « marche avec » sur les chemins de l’apprentissage. Contraindre ne suffit pas, ce n’est qu’un préalable. Pour que l’événement « transgression-sanc- tion » devienne une occasion de progrès, l’éducateur — ou l’environnement éducatif, car il peut être préférable, quand cela est possible, de s’impliquer à plusieurs — doit accompagner le contrevenant :
- en proposant une écoute, puis une médiation, il fait exis- ter, derrière l’objet endommagé et réparé, ou derrière l’insulte, une personne qui en a souffert et qui gagnerait à être reconnue ;
- en expliquant l’histoire et le sens de cette règle qui a été posée pour répondre à des besoins du groupe ;
en écoutant le contrevenant parler de lui et de ses difficultés, éventuellement en lui proposant de l’aide.
Plutôt que d’éducation, nous parlons souvent de « rencontre éducative » entre des personnes. Le désir de l’éduca- teur se heurte au désir et à la liberté de l’éduqué. Quand l’éducateur a fait sa part du chemin, à savoir poser les contraintes et offrir sa présence et son aide, c’est à l’éduqué de s’impliquer. Il est invité alors à choisir :
- accepter la médiation, ou éviter l’autre ;
- manifestersonadhésioncritiqueoubienobjecteràlarègle;
- prendre en charge sa vie et ses problèmes autrement qu’ en en faisant porter le poids à son entourage qui n’ y est peut-être pour rien, éventuellement décider de demander de l’ aide.
« Il est inutile d’opposer artificiellement la fermeté de ceux qui privilégieraient le rappel à l’ordre et le laxisme de soixante-huitards enclins à l’indulgence systématique. Sur le terrain, tous les éducateurs savent qu’il faut sanctionner, marquer les limites sans lesquelles l’adolescent va s’engager dans la spirale de la transgression, jusqu’à mettre en péril sa propre existence. »
Philippe MEIRIEU, Repères pour un monde sans repères, DDB, 2002, p. 213.
Et le groupe ?
La plupart du temps, la transgression a lieu dans le cadre d’un groupe qui, lui aussi, est impliqué, au moins en tant que témoin de ce qui s’est passé ! Ce n’est pas seule- ment un problème individuel. La démarche de l’éducateur peut être expliquée au groupe : dire ce que l’on fait et faire ce que l’on dit.
Mais on peut aussi aller beaucoup plus loin pour respon- sabiliser le groupe. La règle est celle de tous : y a-t-il lieu de la réajuster, ou de la ré-affirmer ? Si des personnes du grou- pe sont agressées par d’autres, quels sont les espaces de régulation où il va être possible de partager son ressenti, ses questions, d’ être personnellement reconnu par l’ ensemble ? Dans ces espaces où la sécurité est assurée par un garant des règles du jeu, on pourra risquer d’exprimer ses désaccords et faire des petites crises autant d’occasions de mise au point et de prévention des crises violentes. Au lieu de transformer les contrevenants en boucs émissaires, les actes qu’ils ont posés peuvent être des signaux d’alarme, qui invitent à opé- rer les améliorations nécessaires à la santé de chacun et du groupe lui-même. Des gestes de solidarité plutôt que d’exclusion viseront la réinsertion et l’épanouissement de celui qui a été momentanément en « indélicatesse ».
Dans le meilleur des cas, chaque personne du groupe peut adhérer au nouveau contrat... ou choisir, quand c’est possible, un autre cadre de vie !
Tout cela prend du temps !
Mais que se passe-t-il si on ne prend pas ce temps ? Récidives et répétitions, blocages, rupture de la relation, plaintes des victimes, sentiments d’impuissance, ressentiments et culpabilités, fatigue des uns et dégoût des autres, ou bien énergie à mettre à contre-cœur dans les actions répressives, sans parler du coût émotionnel et parfois matériel des « explosions ».
« La non-violence est un langage élaboré qui accepte les règles grammaticales, la ponctuation, avec ses pauses, ses interrogations, ses exclamations et les temps passé, présent et futur. C’est un langage qui s’apprend » (Ifman). La non- violence est toujours un choix, une décision, un apprentissa- ge qui donnent du sens et libèrent une énergie créatrice.
Parler la loi, user de la parole et oser la sanction, cela prend du temps. Le temps de ritualiser. Le rituel apporte la distance nécessaire et la symbolique où pourra s’inscrire la restauration du lien. La transgression a révélé un conflit. Par la sanction éducative, ce conflit est devenu opportunité de progrès pour tous, c’est-à-dire avec un bénéfice pour chacun : victime, auteur, groupe. On peut parler de transformation positive de la transgression.
La transgression : réponses en trois actes et quatre étapes
Dans la rencontre éducative, comme dans toute rencontre, chacun est responsable d’une partie du chemin.
Pour, autant que possible,
- Restaurer la relation entre auteur et victime
- Restaurer la relation entre auteur et groupe
- Restaurer la confiance en soi de l’auteur
Élisabeth Maheu, enseignante en collège ; formatrice à l’IUFM de Rouen sur les questions de prévention des violences et de gestion positive des conflits ; membre de l’Ifman-Normandie (Institut de recherche
et de formation du mouvement pour une alternative non-violente). Livres à paraître : Vous avez dit « sanction » ?, et Des projets pour grandir.