Après les violences postélectorales au Togo, quelle chance pour une réconciliation ?

Auteur

Yves Matthieu

Localisation

Togo

Année de publication

2009

Cet article est paru dans
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Dans le contexte actuel d’après génocide au Rwanda, et des guerres répétitives au Burundi et en RD Congo, les peuples des Grands Lacs éprouvent une grande soif d’une paix durable. Les réfugiés ont besoin d’apprendre comment sortir du cercle infernal des violences et injustices dont ils sont victimes dans les camps. Ils ont soif de la réconciliation intérieure et intercommunautaires. L’éducation à la non-violence, au pardon et à la réconciliation, les aide à retrouver espoir.

Nous nous déclarons solidaires des rapports publiés par les organisations internationales et nationales de droits de l’Homme, et de ce que nous avons pu observer ou vivre au Mir Togo, après les événements sanglants d’avril et mai 2005 au Togo 1 . Après les violences postélectorales au Togo, quelle chance pour une réconciliation ?
 

Le détonateur des violences post-électorales, en 2005


Le 5 février 2005, le président Gnassingbé Eyadema meurt dans l’avion qui l’acheminait d’urgence pour des soins en Israël. Cornaqué par des officiers des Forces armées togolaises, dans la nuit, le jeune fils du président défunt Faure s’empare du pouvoir héréditaire, en lieu et place du président de l’Assemblée nationale Fambaré Natchaba censé constitutionnellement assuré l’intérim. Ni l’intérim assuré par le vice-président de l’Assemblée nationale El Hadj Bonfoh, ni les dénonciations au sujet du complot du pouvoir dynastique contre le peuple du ministre de l’Intérieur à la veille des élections présidentielles d’avril 2005 assorties de sa démission, ni le cri d’alarme des organisations appelant à un scrutin équitable, juste, crédible et pacifique n’ont freiné les tenants des forces armées et des milices pour exécuter leur plan d’enracinement, d’étouffement et de répression violente de toute velléité de changement sans cesse exprimée par le peuple togolais.


Des rapports qui se suivent et se ressemblent


Avant, pendant et après les élections présidentielles d’avril 2005, les rapports des organisations, listées ici dans la note 1, indiquent bien des violations graves, horribles et massives des droits de l’homme avec des centaines de togolais(es) tués, kidnappés, portés disparus, blessés ou handicapés à vie, persécutés, poursuivis ; des femmes et des jeunes filles violées, des enfants et des jeunes enrôlés dans des milices qui ont opéré pendant longtemps en gestapo locale. Des milliers de maisons ont été brûlées, des biens volés ou détruits, et leurs propriétaires sévèrement traumatisés. Amnesty International a fait état d’au moins 150 personnes tuées lors des regrettables évènements d’avril et de mai au Togo.

Tous les rapports convergent aussi sur les massifs massacres planifiés des populations. Selon une source d’Afric’Hebdo, il y a effectivement une liste avérée de plus de 811 morts, 775 disparus et 4 685 blessés.

Pour la rédaction de ce journal, perçu au Togo comme le plus objectif et le plus crédible, son numéro 12 du 14 octobre 2005 publie à la page 5 : « L’accession de Faure Gnassingbé au pouvoir a fait au moins 1 000 morts, plus de 600 disparus, des milliers de blessés, plus de 36 000 exilés à l’étranger et 10 000 déplacés à l’intérieur. » (…)

 

Atakparné, ville martyre


Dans la préfecture de l’Ogou et particulièrement dans la commune d’Atakpamé, les massacres ont été perpétrés par des miliciens agissant de concert avec les éléments de l’armée, de la police et de la gendarmerie.

Avant les élections, il s’est posé le problème des cartes d’électeurs. En effet, les responsables locaux du RPTont fait disparaître la grande masse des cartes d’électeurs, convaincus de ce que la commune était acquise à l’opposition. Les échauffourées à Atakpamé ont fait une vingtaine de blessés graves. Un village proche de Nangbéto, Allasane Kopé, constitué de Nigériens, fut littéralement nettoyé de la carte du Togo : un député du RPT ayant pourvu les habitants en cartes d’électeurs détournées afin que ceux-ci, non-inscrits sur la liste électorale, votent pour le RPT, alors même que des citoyens de la préfecture en âge de voter en étaient sevrés.

Tout a véritablement commencé juste après le dépouillement dans les divers quartiers de la ville où le parti au pouvoir a été battu à plate couture ; même son de cloche dans les autres villes et villages de la région des plateaux. Les commissions électorales locales indépendantes ont envoyé les résultats sanctionnant le dépouillement dans tous les coins de la commune et de ses environs. Le grand dépouillement s’est opéré à la préfecture précisant bien la large et écrasante victoire de l’opposition démocratique sur les forces du statu quo. La nouvelle ayant fait le tour de la ville d’Atakpamé, jeunes, adultes et vieux ont commencé par jubiler. Là, les premiers accrochages ont eu lieu avec les groupes du pouvoir. On dénombra alors une dizaine de blessés graves et deux jeunes tués. (…)

Le 26 avril, après la proclamation des résultats, deux groupes de miliciens se sont constitués : le premier s’est spontanément constitué, composé de membres qu’on ne saurait considérer comme des militants mais plutôt comme des sympathisants de l’opposition, révoltés contre le détournement du vote populaire par les forces antidémocratiques. Le deuxième groupe est une milice véritable aux membres recrutés dans la région centrale voisine (dans les villes de Sotouboua, de Blitta et de Bafilo). (…)

Du 26 avril à octobre 2005, les deux milices au service de la mort vont faire régner à Atakparné une violence paroxystique. Des milliers d’habitants, au rang desquels ma famille et moi-même, fuiront la ville.

De nombreuses personnes furent abattues dans les maisons. La plupart des victimes sont mortes par balles d’armes de guerre, exceptionnellement d’armes à feu traditionnelles. Des centaines de victimes ont été sauvagement assommées par des gourdins cloutés, égorgées ou brûlées vives. L’usage d’un véhicule blindé de combat, d’une automitrailleuse, et le massacre même de nombreuses personnes proches du RPTtémoignent de la volonté délibérée des auteurs de tirer sur tout ce qui bouge et de faire le maximum de victimes. (…)

Un long travail de recherche reste toujours à faire pour connaître le nombre de disparus, investir les fosses communes, publier la liste des auteurs des crimes, de leurs commanditaires et des miliciens incriminés qui doivent être entendus et jugés. 


La question des enfants soldats


Aborder le problème des conflits violents au Togo apparaît comme un écheveau particulièrement complexe à démêler. Depuis l’ère coloniale et postcoloniale, le Togo vit dans l’effervescence d’événements tragiques et cyniques, lesquels s’enchevêtrent au quotidien, au fil des ans, dans un pays qui écrit malheureusement son histoire en lettres de sang. Les élections présidentielles démocratiques au cours des décennies sont l’occasion des pires horreurs au Togo : coulée de sang, traînées de drames, montées des périls, pluie de feu et de plomb dans lesquelles même les enfants s’illustrent ou se mettent honteusement en évidence.

Dans ce pays qui est le mien, le phénomène d’enfants soldats remonte au 5 octobre 1990, avec la révolution courageuse des étudiants contre la dictature, appuyés par les enfants des collèges de la capitale. Là, est né ce qu’on appelait « Ekpemog », c’est-à-dire le bataillon des lanceurs de cailloux, en référence historique à la force militaire Ouest-africaine d’interposition jadis nommée « Ecomog ». On pourra dire à juste titre que c’est l’action intrépide de ses enfants enrôlés dans les Ekpemog doublée de la mobilisation populaire, qui a contraint le pouvoir à la démocratisation du pays. Si l’intervention de ses enfants aux côtés de leurs aînés n’a pas pu avoir la même ampleur et impact aux diverses élections présidentielles qui ont suivi, celle d’avril 2005 mérite qu’on s’y attarde un petit peu.

À Atakpamé, on a vu des enfants très intrépides, volontaires, engagés et très galvanisés aux côtés d’aînés très minoritaires pour défendre leurs quartiers respectifs. En prévision du hold-up électoral devenu coutumier chez nous, les vieux mystiques des divers quartiers auraient « blindé » mystiquement ces enfants soldats pour une victorieuse défense des quartiers contre les miliciens de la mort à la solde du pouvoir.

On a vu de très nombreux enfants dans les rangs des milices. La drogue les guidait vers l’usage d’armes blanches, notamment des machettes, des coupe-coupe, des couteaux, des gourdins souvent en fer, des chaînes de vélos et de motos, des bâtons cloutés. Les plus âgés dans le rang des milices de la mort maniaient des kalachnikovs et des pistolets. Dans le groupe des sympathisants de l’opposition, les enfants soldats commettront en guise de riposte des infractions relatives à des recels, des destructions et des dégradations volontaires de biens, des incendies criminels. Du 5 février au 5 mai, selon la Mission, vingt-cinq mineurs ont été arrêtés pour des actes de vols et de viols. Il faut ajouter la prédilection des enfants soldats à se livrer à des règlements de compte, à des exécutions sommaires. Selon des sources fiables, ce sont les enfants soldats des milices de la mort qui ont incendié les maisons des personnes jugées proches de l’opposition, arrêté et conduit des personnes aux lieux d’exécution, brûlé vifs des gens. Ces enfants indiquaient cyniquement le domicile des gens à arrêter et à abattre, notamment leurs camarades identifiés dans le passé comme violemment critiques à l’endroit du régime. En somme, victimes et bourreaux proviennent parfois d’un même établissement, d’une même classe, ce qui rend les traumatismes encore plus douloureux, retardant la réconciliation intérieure.


Allégations de violences sexuelles


Tous les rapports convergent sur des informations relatives à des actes de violences sexuelles commises par des militaires, surtout les groupes de civils armés et les milices de la mort. Les victimes auraient été systématiquement violées en présence de leurs enfants ou de leur mari (tué après que son sexe a été soigneusement flagellé) ou devant les frères et sœurs. À Atakpamé, le préfet a confirmé que les gendarmes ont enregistré cinq cas de viols de femmes, alors que la prise en charge psychosociale des victimes par des ONG locales dénombrait 57 victimes ; sans compter celles qui avaient toujours honte de se confier ! Pire encore, de nombreuses femmes âgées auraient été violées dans les villages situés dans la préfecture de l’Ogou.


Qu’est-ce qui a changé ?


Déjà en 2006, des organisations sont cooptées par UNFPA pour un soutien en conseil psychosocial aux victimes des troubles socio- politiques de 2005. Dès la rentrée 2007, et après les premières sessions du Mir France au Togo, à Atakpamé puis à Sokodé, Mir Togo a créé des Clubs Martin Luther King, pour réconcilier les extrascolaires et des Clubs Jean Goss pour promouvoir la médiation scolaire en vue de la réintégration des ex-élèves enfants soldats.

Il s’agit également de motiver les miliciens à se désarmer sans arrière-pensée, pour qu’ils puissent ensuite s’engager dans la voie de la réconciliation.

Nous y parvenons fragilement, grâce à l’appui des journées Jean Goss et Martin Luther King, les interventions bihebdomadaires sur la radio catholique, l’animation dans les Clubs des artisans de paix (CAP). Nous voulons avant tout désarmer les populations notamment juvéniles, d’abord dans le mental puis de leurs mains !

 


1) Nous avons fondamentalement approuvé : le rapport d’Amnesty International sur les regrettables événements d’avril et mai 2005 au Togo ; le rapport du Haut Commissariat pour les droits de l’Homme, avec sa Mission d’établissement des faits dirigée par le Sénégalais Doudou Diène ; le Rapport préliminaire du 5 mai 2005 sur les violations massives des droits de l’Homme par le régime RPT avant, pendant et après le scrutin du 24 avril de la Ligue togolaise des droits de l’Homme (LTDH) ; le Rapport préliminaire sur des violations des droits humains et actes de violence et de vandalisme commis avant, pendant et après le scrutin présidentiel du 24 avril du Mouvement togolais de défense des libertés et des droits de l’Homme (MTDLDH) ; la Synthèse du rapport de la tournée de vérification des allégations de violations des droits de l’homme survenus lors du processus électoral d’avril 2005, au Togo de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH) ; le rapport « confidentiel » de la Mission d’établissement des faits de l’Union africaine (UA) conduite par la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples en sa 37ème session ordinaire tenue, à Banjul, en Gambie, du 27 avril au 11 mai 2005 ; et enfin le rapport non véritablement rendu officiel de la Commission nationale spéciale d’enquête indépendante (CNSEI), créée par le gouvernement togolais et conduite par l’ancien Premier ministre Joseph Kokou Koffigoh.

 

Yves MATTHIEU est co-responsable du MIR Togo, dont le siège est à Atakparné, ville identifiée comme ville martyre par les experts de l’ONU après les violences postélectorales de 2005.


Article écrit par Yves Matthieu.

Article paru dans le numéro 152 d’Alternatives non-violentes.