Auteur

Serge Perrin

Localisation

France

Année de publication

2016

Cet article est paru dans
179.png

Le boycott, une arme citoyenne non-violente

Les consommateurs ont plus de pouvoir qu’ils ne le pensent, celui d’acheter, et surtout celui de ne pas acheter… Le boycott est une action directe dans la panoplie des luttes non-violentes. Le terme apparaît en 1880, il vient définir une pratique déjà utilisée depuis des siècles. Tout comme la désobéissance civile, le boycott devient une arme d'actualité qui devrait se développer dans les années à venir.

Action privilégiée des organisations de consommateurs, il a une visée éminemment politique.

 

Une grève des consommateurs

La philosophie de la non-violence se base sur le respect de chacun et a pour corollaire la responsabilité de chacun, acteur dans la société. La stratégie non-violente s’appuie sur la non-collaboration, la non-coopération avec l'injustice : chaque consommateur a le pouvoir de ne pas acheter un produit qui est lié à une injustice.

Si la grève est une action de non-fabrication, de blocage, pour exercer une pression économique sur la direction d'une entreprise, le boycott est la « grève des consommateurs » qui refusent d'acheter un produit pour ne pas cautionner sa méthode de fabrication ou sa dangerosité. C'est un moyen de pression économique qui vise à changer une situation considérée comme injuste ou illégitime.

Comme dans toute action non-violente, il y a pression sur les responsables afin de les amener à changer une pratique liée, par exemple, à non-respect des droits fondamentaux, à un déséquilibre dans le partage des richesses ou à un non-respect de la planète. Cette pression est constitutive de l'établissement d'un rapport de force. Il s'agit de contraindre pour empêcher de nuire.

L'histoire des luttes non-violentes est jalonnée par l’organisation de boycotts.

 

Une histoire déjà ancienne…

À la fin des années 1760, le gouvernement britannique augmente fortement les taxes sur les importations de thé entraînant colère et difficultés dans les colonies américaines. Le thé devient le symbole des désaccords entre métropole et colonies. Des actions de refus d'achat du thé de Chine sont alors organisées et, pour la Compagnie britannique des Indes occidentales, les conséquences sont importantes. À partir de 1773, par le Tea Act, le gouvernement britannique autorise la Compagnie à vendre le thé chinois sans taxes aux colonies. Au nom des libertés commerciales américaines, un appel au boycott de la Compagnie est lancé. En décembre 1773, la Boston Tea Party, c'est-à-dire la mise à l'eau du thé de trois bateaux de la Compagnie, est un événement emblématique qui annonce l’indépendance américaine.

En 1837, au Québec, les chefs Patriotes demandent aux Québécois de ne plus acheter les produits anglais et de favoriser les produits locaux afin de refuser à l'Angleterre le bénéfice des taxes et de libérer le Québec de l’occupant anglais.

Le terme « boycott » n’apparaît qu'en 1880. Charles Parnell, un dirigeant nationaliste irlandais, organise la mise en quarantaine du riche propriétaire terrien, Charles Cunningham Boycott, pour maltraitance à l’encontre de ses fermiers. Le 19 sept. 1880, Charles Parnell prononce un discours éclairant sur la méthode : « Quand un homme a pris une ferme d'un autre qui a été renvoyé, [...] vous devez l'éviter dans les rues du village, vous devez l'éviter dans les boutiques, […] en le laissant seul, en le mettant en « quarantaine morale », en l'isolant du reste de son pays comme s'il était le lépreux de nos ancêtres, vous devez lui montrer votre dégoût pour le crime qu'il a commis. » Il s’agit plus ici d’un boycott moral qu’économique.

En 1900, c'est à Bialystock, dans l'Empire tsariste, que le syndicat des travailleurs juifs organise le boycott des cigarettes Janovski suite au licenciement de quarante-cinq jeunes filles juives. Les cigarettes achetées sont arrachées des mains des consommateurs et brûlées. Le fabricant juif F. Janovski finit par céder et les filles sont réintégrées.

En 1920, pour lutter contre l’Empire britannique et gagner l’indépendance de l’Inde, Gandhi refuse les vêtements anglais. Il dénonce ainsi le « déséquilibre des termes de l’échange » : le coton est acheté dans la colonie, la fabrication est confiée aux usines anglaises et le bénéfice revient à la métropole.

Lors d’une visite en Angleterre, Gandhi rencontre des ouvriers du textile mis au chômage par le boycott, il leur explique que l'action n'était pas dirigée contre eux mais contre le pouvoir colonial. Les syndicats anglais comprennent la nécessaire solidarité. Pour Gandhi, les actions de boycott sont liées à un « programme constructif » : les Indiens filent eux-mêmes le coton et tissent leurs vêtements. C'est ainsi que le rouet devient un symbole et se retrouve sur le drapeau indien.

Aux États-Unis, la lutte pour les droits civiques, impulsée notamment par Martin Luther King, a commencé avec le boycott des bus de Montgomery, en 1955. Rosa Parks, une Noire américaine s’assied sur une place réservée aux Blancs et refuse de céder la place. Suite à son arrestation, les transports publics sont boycottés. Cette campagne aboutira à la fin de la ségrégation raciale officielle aux États-Unis.

 

Les boycotts modernes

Aux États-Unis, un syndicaliste paysan a efficacement utilisé le boycott pour renforcer les grèves menées par les ouvriers agricoles, souvent chicanos (immigrés du Mexique). Formé aux méthodes de Saul Alinski, César Chavez utilise différentes techniques de la stratégie non-violente : construction d'une organisation sociale avec la réalisation de cliniques et maisons de retraite pour les ouvriers, marches de protestation, grèves. Pour obtenir la signature de contrats syndicaux avec les grosses compagnies agricoles, la grève est doublée d’un boycott des salades ou des raisins des compagnies. Grâce à la mise en place de comités de boycott dans tout le pays et avec le soutien des étudiants, les ouvriers agricoles gagnent le combat à partir de 1970.

Cet exemple montre l'intérêt et l’efficacité de la convergence des formes de résistance non-violente.

Le boycott est une action des consommateurs face à des entreprises qui échappent aux contrôles des responsables politique. Le bulletin de vote n'est plus suffisant face aux multinationales, le boycott devient une arme efficace dans une économie mondialisée et hyper médiatisée. Le boycott n'agit plus seulement sur le manque à gagner (baisse des ventes réalisées par l'entreprise) mais aussi sur l'image de l'entreprise via les médias et les réseaux sociaux.

En France, au début des années 2000, suite à un plan de restructuration et une vague de licenciements, les travailleurs de Lu lancent un boycott de Danone. Ils souhaitent ainsi peser d’avantage dans le rapport de force face à la multinationale française.

En 2012, des ONG appellent au boycott des produits Shell pour protester contre la destruction d'une plate-forme pétrolière en mer du Nord.

 

Les boycotts internationaux

Le boycott contre l'apartheid en Afrique du Sud est une référence incontestée, un boycott réussi. À l'appel des organisations de libération noire, à partir de 1975, des ONG (organisations non gouvernementales) se sont mobilisés pour le boycott des oranges Outspan. Le MAN (Mouvement pour une alternative non-violente) a été un des initiateurs du MAA (Mouvement anti-apartheid) créé en France. Aux actions d’information s’ajoutent les présences devant les magasins pour inciter à refuser les fruits Outspan d'Afrique du Sud. La baisse des ventes est estimée à 30 %. C'est suite à la pression économique que les entrepreneurs sud-africains poussent leurs responsables politiques à sortir du système de l'apartheid. Cet exemple confirme l'impact de l'économie sur le politique.

Dans un contexte de mondialisation, les entreprises économiques deviennent sensibles aux événements politiques au niveau international. Les viticulteurs français ont ainsi été victimes du boycott des vins français aux États-Unis, quand la France a refusé de s'engager dans la guerre d'Irak en 2003. De même, les chinois ont boycotté les magasins Carrefour en Chine quand les français ont milité pour le boycott des jeux olympiques à Pékin.

Là où la diplomatie échoue, le boycott est une arme économique permettant d'établir des rapports de forces non-militaires. Nous voyons ainsi des actions de boycotts internationaux se développer dans les conflits modernes : boycott et sanctions de l'Iran pour le forcer à arrêter sa fabrication d'armes nucléaires ; boycott et sanctions vis-à-vis de la Russie après l'annexion de la Crimée. Nous nous réjouissons du remplacement des armes par des sanctions non-violentes.

Le MAN constate que des sanctions économiques et politiques pourraient être plus utilisées pour agir contre les dictatures (Syrie, Irak, Lybie, Centrafrique, etc.).

Inspirés par ces exemples, des mouvements palestiniens se sont tournés vers une résistance non-violente. Ils ont lancé, il y a quelques années la campagne BDS pour faire pression sur Israël, dénoncer l'exploitation illégale de la Palestine par les colons israéliens et obtenir leurs droits à la liberté. Depuis longtemps, les pays de la Ligue arabe boycottent Israël mais le rapport de force a changé lorsque le boycott citoyen a touché les entreprises européennes et américaines et que celles-ci ont commencé à désinvestir… L'image d'Israël est aujourd'hui impactée par la campagne internationale. L'Union européenne, en demandant l'indication de la provenance sur les produits des territoires occupés palestiniens, enfonce un clou supplémentaire contre la politique ultra-sioniste du gouvernement israélien.

 

La France et le boycott citoyen

Les autorités économiques et politiques françaises ne sont pas ouvertes à ce type d'actions. D'un côté, c'est une pression qui gêne les industriels, de l'autre, c'est une action qui échappe au contrôle des organisations « traditionnelles ». Si les citoyens peuvent décider eux-mêmes, cela met en danger le pouvoir centralisé, jacobin et parisien français ! Le boycott vient plutôt de la culture anglo-saxonne qui met en avant l'individu.

En France, des lois essaient de rendre le boycott illégal. Ainsi, les tribunaux peuvent être appelés à juger des appels à un boycott.

Le lobby sioniste est très influent à droite comme au parti socialiste. Il a réussi à faire passer le boycott envers des produits israélien pour une « provocation publique à la discrimination envers une nation » punie d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Sous le ministère de Michèle Alliot-Marie, une circulaire, encore en vigueur, demande aux procureurs de la République d’assurer une répression « ferme et cohérente » aux actions de BDS. L'État français ne peut pas être poursuivi pour appeler au boycott de la Russie, il s'agit bien de mesures contre les actions citoyennes, pour criminaliser les mouvements sociaux.

 

 

 

 


Article écrit par Serge Perrin.

Article paru dans le numéro 179 d’Alternatives non-violentes.