Comment les idées reçues se propagent, avec ou sans Le Pen

Auteur

Albano Cordeiro

Année de publication

1996

Cet article est paru dans

On pourrait penser qu’un argumentaire élaboré et chiffré pourrait servir d'arme contre le discours porté par le Front national. D’après l’auteur, cela n'est pas le cas car les individus s'associant à ce parti le font par émotions et non par raison. Selon lui,  ce sont les menaces imaginaires, instrument préféré du parti, qui provoquent un sentiment d'insécurité et permettent aux électeurs de trouver refuge dans un discours qui se veut la solution, (même s'il utilise des rapports chiffrés dont l'existence et la validité sont remises en cause). De son côté, croyant peut être bien faire, la gauche ne fait que confiner les personnes issues de l'immigration dans leur statut de victimes, d'exclus, de faibles. Au final, les idées reçues se propagent avec ou sans Le Pen puisque le vrai travail ne serait pas de montrer les immigrés comme victimes plutôt que coupables, mais tout simplement de montrer réellement à quel point on pointe ici une minorité, laissant dans l'ombre toutes les familles qu'on ne voit pas, puisqu'elles sont tout simplement sujettes à aucun problème de société particulier, et vivent avec la nationalité française fondues parmi les français de souche.

A force de dire, même à gauche, que l’immigration est un “problème”, qu’elle “coûte socialement”, tout le monde finit par penser que c’est vrai !

 

Fournir des arguments élaborés pour réduire l’influence des idées de Le Pen, auprès d’un public “tout venant” est très utile, mais il est à parier que la plus grande rentabilité viendra d’un maniement intelligent du grand bon sens commun, qui, dans ses multiples variations, offre un grand éventail de légitimations de discours divers, aussi bien pour Le Pen que contre Le Pen. Le discours de bon sens contre les idées de Le Pen pourra être renforcé par un contrechilfrage de ce qu’il avance. En effet, tout discours s’appuyant sur des sta tistiques ou des données d’enquête acquiert une valeur scientifique qui renforce une légitimité. Mais, auprès de ceux qui, dans le public tout venant, sont convaincus des arguments de Le Pen l’opération risque de ne servir à rien.

En effet, cette conviction est d’ordre plutôt irrationnel, émotif et affectif. Il y a souvent à la base une réaction contre des menaces de types divers, mais qui, toutes, ont pour caractéristiques d’être d’origine indéfinie, mystérieuse, incompré hensible. Ces menaces, pour imaginaires qu’elles soient, sont anxiogènes et produisent des sentiments d’insécurité. En offrant une panoplie de boucs émissaires, le discours de Le Pen a un rôle social “désangoissant” (anti-dépressif, anti médicamenteux, anti-suicidaire). Par ce discours, ces angoisses sont verbalisées et dotées d’un argumentaire auto déculpabilisant 1 . Les causes non connues ou mal connues d’une insécurité ressentie (appuyée par des récits de faits vécus, par soi et par d’autres), les menaces indéfinies sur la place que l’on occupe (déficit de reconnaissance sociale, frustrations familiales, professionnelles, etc.), deviennent une force politique grâce à cette transformation : ce qui est imprécis et obscur devient “clair”.

Face à cela, l’argumentation avec des raisonnements élaborés étayés par des études diverses, n’a pas d’efficacité. Ce type de discours n’offre pas le confort intellectuel et psychique qu’offre le discours national-populiste. En croyant contrecarrer Le Pen avec la raison, on peut même finir par renforcer les convictions de ceux qui se retrouvent dans ses idées. A moins d’évolutions socio-politiques favorables à la délégitimation de ces raisonnements national-populistes, seul un suivi dans la durée, allié à l’utilisation de faits vécus comme support d’argumentation, peuvent changer ces mentalités 2 .

 

Les anti-lepénistes convaincus


Lorsque nous nous adressons à un public convaincu d’avance du caractère pernicieux du discours de Le Pen, nous nous trouvons dans un autre cas de figure. D’une part, l’argumentation présentée peut effectivement apporter un supplément aux convictions déjà acquises, d’autre part, il y a le risque que cela ne soit, en définitive, qu’une opération à but “auto-confirmatif’, de type narcissique (“j’avais bien raison, Le Pen est un salaud !”), avec une faible plus-value en matière d’acquisition de connaissances. En effet, ce public n’y cherche, en général, que des confirmations de ce qu’il croit déjà savoir.

Plutôt que servir le prêt-à-penser anti-fasciste, il serait plus intéressant de se fixer un but plus élevé, en fournissant les arguments permettant de contrebattre ceux d’un défenseur des idées de Le Pen. Cette démarche existe, et elle est utile.

Mais, hélas, la pratique courante est celle de faire de l’anti-Le Pen en caressant les idées reçues et les stéréotypes éculés en cours dans ce que l’on appelle communément la “gauche”. Je me réfère aux convaincus de la gauche, souvent des militants, ou de simples électeurs fidèles. Certains de ces convaincus se portent, souvent, de façon plus ou moins avouée, demandeurs d’un discours qui se démarque de celui de Le Pen, mais qui, substantiellement, maintient les exacts mêmes boucs émissaires. Cela est constatable par le vocabulaire, où se vérifie une simple reconversion. “L’ultra-libéralisme”, les “marchés financiers”, avec leurs spéculations et leurs économies artificielles, ou les “grands monopoles mondiaux” qui-ne-recherchent-que-le-profit, prennent la place du “cosmopolitisme”, des “lobbies mondiaux”, de la “globalisation”, ou de l’Europe de Maastricht”. On n’est pas pour la “préférence nationale”, mais on est contre les “délocalisations” et le “dumping social” qui nous vient du tiers-monde à cause de “patrons” sans scrupules qui profitent d’une main-d’œuvre sans défense et dans le dénuement.

S’adresser à un public anti-lepéniste, en le confirmant simplement dans ses convictions, ne sert pas à grand-chose. La démarche qui mérite intérêt est celle de saisir cette occasion pour remettre en cause les stéréotypes de la “gauche”, et attirer l’attention vers les convergences existantes entre maints raisonnements estampillés “démocratiques”, “républicains” et la pensée national-populiste du Front national. C’est un tâche ingrate, puisque, pour multiples et diverses que soient les précautions prises, le discours reste exposé à des risques d’amalgames avec les arguments des “amis de Le Pen”, et risque, par ailleurs, de tomber dans les fantasmes-repoussoirs de la “gauche”, subissant donc des accusations sans appel. 

 

Pourquoi l’on continue à utiliser le mot “immigration” ?


La recherche sur des thèmes ayant trait à la venue et à l’installation en France de populations étrangères a pris son essor dans les années 70 3 .

Il est vrai que, par facilité, les mots “immigration” et immigrés” furent adoptés pour désigner cette thématique. Sans trop y réfléchir. Mais les historiens ont eu raison de nous rappeler, qu’avant la deuxième guerre mondiale, le terme communément utilisé n’était pas “immigré” mais "étranger” 4 . Que s’est-il passé pour que ce changement de mots ait eu lieu ? 

Sans nous attarder sur les raisons historiques de ce changement, limitons-nous à rappeler qu’un “immigré” peut être un national. Tandis que lorsque l’on utilise le mot “étranger”, à coup sûr les nationaux ne sont pas inclus.

L’intérêt, donc, du mot “immigré” 5 , est de pouvoir, en soulevant la thématique de la dite “immigration”, y inclure certaines fractions des nationaux, en fait, ceux de certaines origines. Mais l’opération d’inclure ces nationaux reste discrète et ambiguë, de façon à laisser à l’interlocuteur le soin de les inclure ou pas dans le raisonnement énoncé. L’usage courant du terme permet même de ne parler que “d’eux”, ceux pour lesquels l’euphémisme “immigrés” a été mis en circulation, et qui font partie intégrante de l’image publique qui s’est forgée de cette même population : les Maghrébins.

Encore aujourd’hui, écrits et prises de parole, émanant de personnages de la gauche, reviennent sur les “immigrés”, sur ceux qui sont pour, sur ceux qui sont contre, pour leurs droits, y inclus le “droit de vote” (ce qui signifie qu’on les prend pour des étrangers). Bien que de nouveaux euphémismes soient apparus : “population des cités”, “musulmans”, “jeunes de banlieue”, voire “jeunes” tout court.

La littérature du Front national et d’autres organisations voisines font large usage des mots “immigrés” et “immigration”. Ce dernier fait souvent référence aux arrivées de nouveaux “immigrés”. A part cet usage, il y a bien une contradiction lorsque l’on désigne les gens exclus de la “préférence nationale” (dans le logement, pour l’emploi, pour les prestations d’assistance et de Sécurité sociale) avec le mot “immigrés”. Le camouflage derrière la fausse synonymie avec le mot “étrangers” cache mal la problématique soulevée par le national-populisme d’aujourd’hui : la question de l’intégration nationale. Il y aurait aujourd’hui des Français n’ayant pas de légitimité à faire partie de la Nation France, puisqu’ils ont, dans le passé, refusé d’en faire partie.

Sur ce terrain, la gauche escamote la question de fond, celle de la défense ou du dépassement de l’Etat-Nation, en renvoyant systématiquement les questions soulevées sur le terrain du racisme et de la discrimination. La lutte contre Le Pen serait un combat anti-raciste et anti-fasciste. Point à la ligne.

 

Pourquoi “immigration” s’accouple- t-elle toujours avec “problème” ?


En quoi la dite “immigration” est-elle un problème différent de celui que vit la population qui réside en France ? Les immigrés (nationaux ou étrangers) ont des problèmes d’emploi, de logement, de transports, pour éduquer leurs enfants. Ils font du sport, créent des entreprises, tombent malades et ont des accidents comme tout un chacun.

Pourquoi alors, à gauche, persiste-t-on à associer le mot “problème” au mot “immigration” ?

De quel “problème” s’agit-il? Pour la gauche, il y a un problème, celui de la discrimination que subissent les “immigrés”, et, éventuellement, la non-reconnaissance de leurs droits culturels à cause du conservatisme hexagonal. Jusqu’à se servir du consensus sur l’exclusion pour faire glisser ce problème sur celui “de l’immigration”. Il suffit alors de suggérer l’équation immigrés = exclus. Exclus, par qui ? Par les racistes, par les gens qui soutiennent les idées de Le Pen ! Ce raisonnement de gauche conduit à poser que l’immigration est un “problème” !

La stratégie politique éculée de la désignation de boucs émissaires comme les fauteurs de dysfonctionnements sociaux, de l’insécurité, de l’exclusion, est, certes, le fondement principal de cet usage par une partie des Français (de souche ou devenus français).

L’électeur de gauche est néanmoins persuadé qu’il existe bel et bien un “problème de l’immigration” parce qu’il a souvent une représentation misérabiliste de “l’immigré”. Celui- ci est non seulement une victime du racisme, mais, en outre, à cause de ce même racisme, il vit précairement. Il est non qualifié, souvent au chômage. Il vit dans une cité pourrie de banlieue. Ses enfants sont en échec scolaire, les plus âgés (les “jeunes”) sont chômeurs ou délinquants, ou encore, dans leur désarroi, capables de devenir des proies faciles pour les intégristes. Ce tableau s’accommode par ailleurs de quelques touches “positives” : les filles réussissent à l’école, les jeunes “créent des associations” ou “deviennent acteurs”. Des immigrés ne sont-ils pas devenus de grands noms du spectacle (Yves Montand) ou de la littérature (T. Ben Jelloun) ? Cela peut aller jusqu’à soutenir contradictoirement “qu’ils” sont “intégrés” ou “pas intégrés”. “Intégrés” pour en donner une image positive (anti-Le Pen) et “non intégrés” pour que l’Etat se mobilise en vue de “les intégrer”.

 

La question des effets positifs que les migrations de travail ont apportés au système de Protection sociale des pays européens


10 millions de Français ont un parent ou un grand-parent d’origine étrangère. 

Plusieurs recherches des années 70 et 80 6 , ont été concordantes dans leurs résultats : les assurés étrangers des diverses caisses de la Sécurité sociale, sous différents critères (bilan cotisations-prestations, différence entre dépenses encourues avec une population étrangère et avec une population nationale ayant les mêmes caractéristiques d’insertion économique et sociale, part des dépenses/part dans la population générale concernée), apportaient, globalement, une économie considérable de ressources, permettant ainsi au système de Sécurité sociale de développer, dans un premier temps (années 50 et 60), la couverture des charges et des risques sociaux, et, dans un deuxième temps (années 70 et 80), de maintenir des niveaux importants de couverture, malgré les déficits croissants de différentes Caisses. Dans ce deuxième temps, l’avantage apporté par ces populations au renforcement et à l’extension de ce système s’estompe progressivement.

La question qui se pose est celle de savoir pourquoi la gauche ne s’est pas efforcée de redresser les idées reçues qui présentaient les “immigrés” comme “chers-à-la-Sécurité-sociale". La question de l’obstruction mentale que l’on observe chez des militants et thuriféraires de la gauche, lorsque l’on aborde ce sujet, semble provenir, en premier lieu, de l’image misérabiliste consubstantielle à la stratégie de la "défense des faibles” , pour mieux capitaliser leur "révolte".

II faut admettre que certains, principalement des chercheurs, refusaient à faire connaître ces études, sous prétexte que s’attaquer aux idées reçues sur l’analyse coûts-bénéfices par catégories de population, pouvait ne pas être bénéfique pour la science et pour les intéressés. Cette position du point de vue politique est défendable. Il est, néanmoins, dommageable que, pour combattre Le Pen, on ait légitimé “coût” des foyers monoparentaux, le “coût” des chômeurs de longue durée, de celui des handicapés, voire celui des personnes du troisième ou quatrième âge.

Rien ne semble justifier, en fait, que les scientifiques et les responsables politiques de gauche se soient tus sur ces analyses. A moins qu’il y ait une autre explication, sur laquelle nous reviendrons... 

Faisons d’abord remarquer la reprise par la gauche de l’expression “coût social de l’émigration”. Pour le citoyen qui entend dire que l’on va lui parler du “coût social” des immigrés, la première idée que lui revient spontanément est que les immigrés coûtent... En oubliant que ce sont en général les riches qui, en dépensant beaucoup dans tous les domaines, comme en santé, coûtent plus cher que les pauvres. Là encore l’image misérabiliste agit comme justification à effet immédiat : les “ immigrés” sont forcément malades, forcément au chômage, etc.

L ’expérience qui m’a conduit à étudier l’impact de la présence de populations d’origine immigrée dans un pays possédant un Etat-Providence 7 , me porte à classer en deux groupes les attitudes que l’on rencontre à cet égard :

  • celle d’affirmer que reprendre les propos du Front national, même si c’est pour les combattre, finit en dernière instance par “faire le jeu” du Front, en leur donnant une légitimité. Cette position peut cacher la seconde ;
  • celle d’affirmer que, en définitive, il se peut bien que le Front national ait raison, en manifestant une incrédulité ouverte ou implicite à l’égard des informations communiquées.

Il est possible de rencontrer quelqu’un qui affirme : « Mais enfin, aujourd’hui, ce n'est pas du tout le cas ! Ils coûtent réellement cher ! » Le ton suggère immédiatement que le désaccord est aussi sur le passé, mais la formulation choisie permet de le faire passer pour un demi-désaccord.

Divers épisodes illustrent ces attitudes de la gauche. 

Citons celui de la brochure gratuite préparée par un groupe de conseillers du Secrétariat d’Etat “chargé des immigrés” (sous F. Autain, 1983), dans le but de contrecarrer les idées divulguées par le FN 8 . Préparée en vue de la campagne des élections municipales de 1983, sa diffusion a été renvoyée après ces élections, suite à une intervention du cabinet du Premier ministre.

Lorsque, à la télévision publique (A2), le 16 octobre 1985, J.-M. Le Pen développe ses thèses anti-immigrés et sur le “coût des immigrés”, avançant, sans un quelconque fondement, le chiffre de 108 milliards comme montant de ce coût 9 , les intellectuels et militants de gauche s’en sont fortement émus. SOS-Racisme convoque une conférence de presse à l’hôtel Lutétia (Paris) le 30 octobre suivant 10 . B.-H. Lévy commence pour dire qu’il a “honte d’être français”, que le fascisme “est passé”, et qu’il “a peur”, puisque s’annoncent des nouvelles nuits de cristal. Julien Dray annonce des actions, la première de demander à l'A2 un temps équivalent à celui de l’émission, pendant lequel, des intellectuels et des artistes contesteraient les arguments et les chiffres de J.-M. Le Pen.

Je suis contacté pour fournir des chiffres concernant la Sécurité sociale et d’autres éventuels documents pour cette émission. Je reste en attente. Quelques semaines après, je suis “décommandé”. A la question du pourquoi, la réponse fut qu’agiter cette question ce serait faire le jeu de Le Pen.

Au printemps 1989, le FN publie un rapport intitulé Le coût de l ’immigration 11 , qui estime à 49,6 milliards le solde (négatif) concernant la protection sociale, et à 301 milliards le coût total de l’immigration, compensé par 90 milliards d’impôts et contributions.

A la lecture, ce rapport se révèle être un laborieux travail de choix de données statistiques de toutes sortes, avec des critères de lecture souvent non pertinents (déplacés par rapport au sujet) et des modes de calcul peu clairs. Le jeu consistant à utiliser des statistiques “d’étrangers” pour parler “d’immigrés” est poussé jusqu’à devenir quasiment grotesque. Le tout s’avère être d’une criante faiblesse scientifique.

L’on pouvait s’attendre que le Haut Conseil de l’intégration, créé alors, se sente investi de la tâche de démentir ce rapport. Quelques contacts pris au sein de cet organisme me convainquent que rien ne sera fait. En outre, comme si un mot d’ordre s’était répandue, les organes de presse ont fait le silence sur l’existence et sur la validité scientifique de ce rapport, permettant ainsi à Le Pen, depuis lors, de sortir, de temps en temps, le chiffre de 211 milliards que coûteraient les immigrés, et d’ajouter que « le rapport Milloz le prouve, et ce rapport n ’a été contesté par personne ».

 

Conclusion


Perdue longtemps dans les eaux de l’antifascisme historique, la réaction de la gauche à la montée des idées du Front national ne s’est pas démontrée seulement inadaptée.

Reste à savoir si ce fut par incapacité ou sciemment ? Il ne faut pas s’étonner dès lors que les idées préconçues anti immigrés continuent à circuler.


Ils agissent

• Le Gisti
Le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (Gisti) défend les droits de la population étrangère en France. Un contre-pouvoir indispensable vis-à-vis d’une législation et de pra tiques administratives toujours plus restrictives. Le Gisti a publié un Guide de l ’entrée et du séjour des étrangers en France (éd. La Découverte, mars 1995). Il édite également la revue trimestrielle Plein droit. Gisti, 30 rue des Petites-Ecuries, 75010 Paris, tél. 1/42 47 07 09. Permanence juridique au 1/42 47 07 60.

• La Cimade
Service œcuménique d’entraide. Parmi ses activités humani taires, la Cimade mène une action de soutien aux étrangers et aux réfugiés politiques. Cimade, 176 rue de Grenelle, 75007 Paris, tél. 1/44 18 60 50.

 


1) Mutatis mutandis, l’on retrouve également ce rôle social de “désangoissement” de masse, dans le discours communiste (celui de la “belle époque”, du moins). La valorisation du rôle et du destin de la classe dans “les lendemains qui chantent” était, en plus, un formidable fournisseur de dignité collective et individuelle. Le tout, avec un parfum de “réalisable” (grâce à Lénine, en Union soviétique). Cela a-t- il servi, en définitive, le régime que les communistes disaient combattre ? Des générations de classes défavorisées, d’intellectuels en rupture avec l'establishment, ont eu la conviction d’avoir été utiles socialement, et cela les a valorisés à leurs propres yeux. Ils ont vécu plus heureux qu’ils n’auraient vécu s’ils n’avaient adhéré à ce corpus d’idées. 

2) Dans un ouvrage collectif récent, Pierre-André Tagueieff désigne cette stratégie de « harcèlement contre-argumentatif » (Combattre le Front national, dirigé par David Martin-Castelnau, éd. Vinci, 1995).

3) Un indicateur de cet intérêt porté par des chercheurs à ces thèmes, dans cette décennie, fut la création, en 1978, du GRECO dans le cadre du CNRS, regroupant des chercheurs titulaires de cette institution, des enseignants universitaires et des chercheurs hors-statut des universités on d’autres institutions de recherche, publiques mais aussi privées.

4) Citons, par exemple, R. Schor, L'opinion française et les étrangers 1919-1939, Publications de la Sorbonne, 1985, 729 p. + annexes. 

5) Y sont inclus des gens qui n’ont jamais immigré, puisqu’ils ne sont pas arrivés du dehors du territoire national, ou parce qu’ils y sont venus indépendamment de leur volonté, ce qui est le cas des enfants mineurs de ces “immigrés” (jadis immigrés).
Comme indicateur de la confusion qui règne à propos du mot "immigrés”, citons un sondage Sofres de 1991, qui comportait la question “selon les statistiques officielles, il y a aujourd’hui le même nombre d’immigrés qu’il y a dix ans. Est-ce vrai ?”. Oui, tout à fait, 4 %. Les résultats ont été les suivants : oui, plutôt, 13 % ; non, plutôt pas, 26 % ; non, pas du tout, 49 % ; sans opinion, 8 % (Figaro Magazine, 21/09/91). Les incrédules sont donc de l’ordre de 3 sur 4. Ceci s’explique en partie par le fait que, pour une grande majorité de la population française, à un individu de nationalité française correspond un certain type physique (phénotype d’européen), et les “non-conformes" que l’on croise dans la rue, sont des “immigrés”, des “non-français”. Or, la relation d’égalité dont il est question dans la question de la Sofres, ne concerne pas les “immigrés”, mais les étrangers. Au sens rigoureux du terme (immigrés, des personnes nées hors d’un territoire de référence), il y avait en France 4,2 millions d’immigrés en France contre 3,6 d’étrangers. Mais, au sens vulgaire “d’immigrés” (personnes d’origine étrangère vivant en France), ils sont encore plus nombreux, puisque sont incluses des personnes nées en France. Aucune précision de chiffres n’est possible dans cette acception populaire du terme. d’autant plus que certains étrangers et certaines personnes  d'origine étrangère échappent au qualificatif "d'immigré".

6) Outre la recherche IREP-CORDES (note 7), citons : la thèse de médecine de Renée Serange-Fonterne (sur la Caisse primaire de Lyon, données 1975), présentée dans la revue Consommation, n° 2/1980 et Prévenir, n° 3/1983 ; “Immigration et développement économique et social (rapport Le Pors), La Documentation française, 1977 ; Mémoire dr lin d’études d’élèves du CNESSS (formation cadres de la SS), 1979, portant sur 300 assurés étrangers et 300 assurés français de la région parisienne ; “Travailleurs immigrés et les prestations familiales”, de C.-V Marie (SES, ministèredutravail),1980 ; thèse de médecine du docteur Pierre Maria, 1984, sur les séjours hospitaliers publics dans le Iyonnais ; "Les immigrés et la Protection sociale”, mémoire de fin d'études d’élèves ENA, dirigés par Ch. Nguyen, 1984 ; “La protection sociale des étrangers et leurs familles”, chap. 3 du “rapport Hessel” ( Immigrations: le devoir d’insertion — analyses et annexes”, La Documentation française, 1988). 

7) Les travailleurs immigres et la Sécurité sociale (avec R.-E. Verhaeren) PUG, 1977. Présentation des résultats d’une recherche IRFP CORDES, comportant l’exploitation des fichiers de la Caisse primaire de l’Isère (CPAM 38G), de la CAF de Grenoble et de la Caisse régional (CRAM) de Lyon. Ces données sont partiellement reprises dans l’ouvrage de divulgation L’immigration (A. Cordeiro, coll. Repères n" 8, La Découverte, 123 p., 1983, 1984, 1987). L'article "La Sécurité sociale et les travailleurs immigrés” (A. Cordeiro), in Temps Modernes, avril-mai-juin 1984, reprend l’ensemble des données à cette date-là. L’article “L’impact de l’immigration sur les systèmes de protection sociale dans les pays développés” (A. Cordeiro), in Migrations Santé, n° 75 et 76, 1993, porte sur une réflexion et une vision historique de ce thème.

8) Vivre ensemble : les immigrés parmi nous, 15 p. La manière dont sont présentés certains thèmes est contestable, mais, globalement, elle redressait quelques idées reçues. Le titre du thème de la Sécurité sociale était : « L ’immigration participe à l ’équilibre de la Sécurité sociale. »

9) Ce chiffre fut annoncé comme provenant d’un “rapport de l’Assemblée nationale”. En fait, il s’agissait d’une simple intervention du député G. Tranchant. En outre, des déclarations de ce député se déduit un “coût social des immigrés” de 58 milliards et non pas de 108 (Le Monde, 17/10/85).

10) Ont assisté : J. Dray, B.-H. Lévy, Y. Simon, Cavanna, Régine Desforges, A.-M. Pisier, J.-J. Dupeyroux (spécialiste de la Sécurité sociale), J.-M. Roberts, Kaïssa Titous, Mounsi, Meryl Mairesse, Eric Ghebali.

11) Le coût de l’immigration. Délégation aux études du Front national, 1989, 59 p. Cette étude du Centre d’études et argumentaires du Front national est appelée couramment “rapport Milloz”, du nom du principal rédacteur. La querelle du “nombre d’immigrés” y prend une place importante. Les auteurs feignent d’ignorer que des enfants français (enfants de parents algériens nés en France, français de naissance) sont déclarés comme étrangers dans les recensements (de 1968 à 1982, du moins). Une résorption de cette surévaluation du nombre d’Algériens (mononationaux) s’opère lors du recensement de 1990. Cette diminution sert aux auteurs pour suggérer : « On vous ment. » Le taux d’erreur sur les étrangers, reconnu par l’Insee, est considéré comme faux. Ensuite, faisant usage d’autres statistiques, les auteurs “expliquent” qu’il y a beaucoup plus d’étrangers que ce que l’on dit. C’est le cas des statistiques scolaires et de la CAF. A part des problèmes de calcul et d’interprétation, on cache soigneusement le fait que ces statistiques ne recueillent pas la nationalité des enfants, mais celle du “parent de référence”. 


Article écrit par Albano Cordeiro.

Article paru dans le numéro 98 d’Alternatives non-violentes.