La prostitution, un choix désespéré

Auteurs

Christine Laouénan et Laurence Noëlle

Année de publication

2014

Cet article est paru dans
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Laurence Noëlle a mis près de trente ans avant de Renaître de ses hontes 1 . Victime d’inceste, de maltraitances, de prostitution, cette femme a été alcoolique et toxicomane. Elle nous raconte sa sortie du tunnel.

C. L. : Pourquoi ce titre Renaître de ses hontes ?

L. N. : J’ai attendu 28 ans avant de sortir de l’ombre, de me livrer et pouvoir raconter les épisodes les plus douloureux de mon existence et, en particulier, l’enfer de la prostitution.

Mon enfance a été marquée par la honte : honte d’avoir été rejetée par ma propre mère, d’avoir été abandonnée par mon père et abusée sexuellement par mon beau-père quand j’avais cinq ans, honte d’être allée sur le trottoir.

Comme toutes les victimes de violences, j’ai été ligotée par la honte qui enferre dans le silence et la peur. Comme j’étais rejetée, ignorée par ma famille, j’ai cru que c’était de ma faute. Mieux vaut se culpabiliser que se sentir impuissant ! J’ai grandi avec la conviction d’être nulle, une moins que rien.

C’est ce mépris de moi qui a favorisé mon entrée dans la prostitution.

 

C. L. : Vous étiez mineure à l’époque ?

L. N. : Effectivement ! J’avais fugué à plusieurs reprises de chez ma mère. En 1984, elle m’a jetée dehors ; j’avais dixsept ans et seulement 3,80 francs en poche (moins de 2 euros). Dans la rue, j’ai fait les rencontres qu’il ne fallait pas. Comme j’étais en quête d’amour, j’ai cru aux belles paroles d’un homme qui était en réalité un proxénète ; il m’a mise sur le trottoir, rue St Denis à Paris. Munie d’une fausse carte d’identité, j’avais un client toutes les quinze minutes, pendant huit heures d’affilée, soit une trentaine de types par nuit. Ce fut l’expérience la plus douloureuse et la plus destructrice de mon existence.

À chaque client, je me précipitais sous la douche tellement je me sentais souillée, humiliée.

 

C. L. : Comme beaucoup de personnes prostituées, vous avez été victime d’abus sexuels…

L. N. : Toutes les nuits j’étais paniquée à l’idée que mon beau-père revienne me violer. Totalement terrifiée, j’étais incapable de hurler, de prononcer un mot. Lorsqu’il arrivait sur moi, je me coupais de mon corps, de mes sensations, pour ne pas souffrir. L’inceste s’est néanmoins imprimé dans ma chair.

J’ai rejoué sur le trottoir le traumatisme subi durant l’enfance, comme une mise en acte d’une violence subie. J’ai fait la morte avec le client comme je l’avais fait avec mon beau-père lorsque j’étais enfant.

Comme toutes les femmes du milieu que j’ai connues, j’ai eu de gros problèmes d’addiction. Pour m’anesthésier, je buvais chaque matin une bouteille de rosé, avant de prendre un rail de cocaïne. Devenue une loque humaine, j’avais perdu toute dignité. Et pourtant, je n’avais pas encore vingt ans… Mon vécu de prostituée n’a fait que renforcer ma honte d’exister.

 

C. L. : Comment êtes-vous sortie de  la prostitution ?

L. N. : Un jour, un proxénète qui voulait m’envoyer « travailler » en Belgique, m’a menacée de m’enlever le doberman que je venais de m’acheter. L’idée de perdre ce petit chien m’a été insupportable. Intérieurement, j’ai dit « non » pour la première fois de ma vie.

J’ai appelé le Mouvement du Nid (association de lutte contre la prostitution) et entendu la voix de Bernard qui est devenu un véritable ami et un tuteur de résilience. Avec douceur, il m’a expliqué que si je retournais sur le trottoir, avec la drogue, la solitude et les violences sexuelles, c’est la mort qui m’attendait. Ce fut une révélation. Je n’avais pas mesuré à quel point j’étais en danger. Grâce aux personnes bienveillantes de l’association, j’ai repris le dessus.

 

C. L. : Que pensez-vous de certains qui affirment que la prostitution est un choix ?

L. N.  : Lorsque j’étais sur le trottoir, j’affirmais avoir choisi la prostitution et en être heureuse. C’est ce que j’appelle le choix désespéré. Bien sûr qu’on a toujours le choix de dire « oui » ou « non ». En ce qui me concerne, j’ai pris la décision de dire « oui » parce que j’avais peur, parce que j’étais jeune et vulnérable.

J’invite tous ceux et celles qui prônent la prostitution à mettre un porte-jarretelle et à faire les cent pas sur le trottoir. Selon moi, les défenseurs de la prostitution veulent seulement continuer à aller voir les personnes prostituées.

 

C. L. : Que pensez-vous de la proposition de loi visant à favoriser l’abolition de la prostitution et à pénaliser le client ?

L. N. : Cette loi permettra avant tout de poser une limite. Il faut responsabiliser les clients, leur faire comprendre qu’ils sont complices des réseaux et du proxénétisme.

Je n’ai jamais rencontré de client qui se souciait de savoir qui était la personne qu’il avait en face de lui. Comme le client paie, il exige. Il est dans le déni total de la souffrance des personnes prostituées. Il est tellement plus simple pour les clients de croire « qu’elles aiment ça » ! Toutes les femmes que j’ai rencontrées affirment qu’elles ne prennent aucun plaisir et que cela les dégoûte. Elles font toutes semblant pour satisfaire le client. Une femme qui aime le sexe, une libertine, refusera de se faire payer car ce qu’elle recherche, c’est le plaisir.


1. Noëlle Laurence, Renaître de ses hontes, Paris, Le Passeur, 2013, 224 p.
 


Article écrit par Christine Laouénan et Laurence Noëlle.

Article paru dans le numéro 170 d’Alternatives non-violentes.