L'évidence de la non-violence ? Portrait de Jean-Marie Muller

Auteur

Georges Gagnaire

Année de publication

2014

Cet article est paru dans
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Si l’Inde moderne n’est pas le territoire de paix et de non-violence fantasmé par toute la génération beatnik ni même celui espéré par Gandhi, c’est bien à Mumbai (capitale économique de l’Inde, appelée Bombay jusqu’en 1995) que Jean-Marie Muller a reçu l’un des Jamnalal Bajaj Awards 2013 décernés par la fondation du même nom en novembre dernier. En 2013, c’est donc notre ami Jean-Marie qui reçoit cette reconnaissance gandhienne, et quelle belle occasion pour nous de revenir sur le parcours de ce grand laboureur de la non-violence !

Pour qui l’a croisé, c’est une évidence, il est un grand bonhomme ! D’abord par la taille, l’obligeant à pencher vers son interlocuteur cette immense barbe maintenant blanchie comme un coton longuement affiné au rouet de la vie... Ensuite sa démarche, à la fois sûre comme ses idées et comme l’évidence de la non-violence, mais aussi un peu chaloupante, tant il est nécessaire de tirer des bords parfois très serrés pour garder le cap ! Enfin cette voix forte, au grain rocailleux affichant sans complexe ses origines, portant loin une élocution lente et précise, et qui ne facilite pas forcément la controverse !

Depuis plus de cinquante ans, l’exigence de la non-violence n’est pas sortie un seul instant de ses préoccupations ! Qu’on juge du peu : bien que délivré de ses obligations militaires, demandeur éconduit du statut d’objecteur de conscience, il renvoie son livret militaire en 1967, ce qui lui valut peine de prison avec sursis et privation de ses droits civiques... Gréviste de la faim en 1970 avec Jean Desbois pour protester contre la vente d’avions « Mirage» au Brésil, il démissionne de son poste de professeur de philosophie pour se consacrer à ses travaux de recherche. Après l’écriture de Stratégie de l’action non-violence 1 , on le retrouve en 1973 sur un voilier dans le Pacifique avec Jean Toulat, Brice Lalonde et Jacques Pâris de Bollardière pour s’opposer aux essais nucléaires militaires français en Polynésie, ce qui ne l’empêchera pas, la même année, d’être l’un des rédacteurs du tout premier numéro d’Alternatives Non-Violentes avec un article condamnant… l’antimilitarisme ! Il publie dans le journal Combat non-violent le Manifeste pour une alternative non-violente, qui servira de base à la fondation du MAN (Mouvement pour une Alternative Nonviolente), en 1974, en rassemblant des groupes locaux et autonomes d’action non-violente. Il devient porte-parole du MAN, jusqu’en 2013. On le retrouve sur le plateau du Larzac avec Lanza Del Vasto en 78, en Pologne avec quelques amis du MAN au côté de Solidarnosc en 87, au Nicaragua en 88, puis, plus récemment au Liban, en Palestine, en Jordanie, au Tchad, en Irak et même en Syrie… La liste est longue et non exhaustive ! Jean-Marie Muller a pendant toutes ces années publié une trentaine de livres 2 . C’est donc en philosophe et en acteur de l’action non-violente qu’il reçoit des mains d’un président de la République Indienne l’une des plus hautes récompenses liée à la non-violence. Gageons que, bien que légitimement fier d’une telle reconnaissance, Jean-Marie n’oublie pas que les mains de ce président détiennent aussi le pouvoir de feu nucléaire et qu’il remâche encore et encore le principe moral : « Tu ne tueras point ».


1) Muller Jean-Marie, Stratégie de l’action non-violente, Paris, Fayard, 1972, 264 p. Réédition au Seuil en 1981. C’est l’un des livres fondateurs et encore incontournables du mouvement non-violent en France. Traductions en polonais et en arabe.

2) Bibliographie et biographie complètes sur le site officiel de J.-M. Muller : www.jean-marie-muller.fr
 


Article écrit par Georges Gagnaire.

Article paru dans le numéro 170 d’Alternatives non-violentes.