Peurs, besoins et mécanismes de défense

Auteur

Geneviève Fabre

Année de publication

2013

Cet article est paru dans
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Face à nos peurs, nous adoptons des mécanismes de défense ou de protection qui nous empêche d'analyser objectivement une situation. Ces peurs cachent en fait nos besoins profonds, qu'il conviendrait d'exprimer clairement pour mieux les accepter et mieux réagir.

Le comportement que nous apprécions en général chez des personnes nous évoque un besoin prioritaire, et le comportement que nous n’aimons pas parle d’une peur importante chez nous.

 

Pour vivre, l’être humain doit apporter des réponses suffisamment satisfaisantes à ses besoins physiques, mais aussi à ses besoins psychiques.

Son équilibre psychologique passe par la satisfaction des besoins d’ordre relationnel comme le besoin d’amour, de reconnaissance, de sécurité, de liberté, de sens, de créativité…

Lorsque nous demandons à des personnes : « Quel trait de caractère ou de comportement vous appréciez le plus, et quel est celui que vous n’aimez pas ? »nous obtenons des réponses qui révèlent ces besoins.

Nous pouvons les classer (mots en italique dans le tableau ci-dessous) dans les différentes catégories des besoins psychologiques fondamentaux. À chaque besoin non satisfait correspond une peur qui provoque des réactions défensives.

Nous pouvons repérer ces besoins psychiques à travers nos relations interpersonnelles. Ainsi, le comportement que nous apprécions en général chez les personnes parle d’un besoin prioritaire pour nous, celui que nous n’aimons pas révèle une peur importante.

Si nous aimons la présence de personnes que nous trouvons bienveillantes, humbles, attentionnées, c’est certainement que notre besoin de reconnaissance est important. Si nous préférons des personnes qui disent les choses en face, c’est que notre besoin de repères est primordial.

Selon Charles Rojzman (voir La peur, la haine et la démocratie, DDB-Épi) la non satisfaction des besoins engendre des peurs. Exemple : la frustration du besoin d’amour entraîne la peur de l’abandon, de la séparation. Ces peurs qui sont le plus souvent inconscientes, niées, refoulées provoquent des réactions défensives qui s’installent dans l’enfance.

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C’est par exemple le cas lorsque le besoin de reconnaissance d’un enfant n’a pas été correctement satisfait, s’il s’est senti (à tort ou à raison) jugé, non accepté tel qu’il était, s’il s’est trouvé rejeté lorsqu’il allait vers ses parents ou éducateurs et si ces situations se sont répétées avec de la souffrance pour lui, il aura mis en place un fonctionnement qui lui a permis de moins souffrir. Il a pu se replier sur lui, ne plus aller vers les autres pour éviter d’être de nouveau blessé, essayer de se montrer conforme à ce qu’il pensait que ses parents voulaient de lui, ou réagir agressivement pour se faire remarquer…

Les comportements que nous avons mis en place dans l’enfance par peur et pour éviter de souffrir sont devenus des habitudes qui reviennent automatiquement à notre insu dès qu’une situation actuelle nous rappelle inconsciemment une situation passée.

Un exemple : Lorsque Chloé est touchée par des paroles jugeantes qui la blessent, elle pourrait avoir le choix entre plusieurs solutions, se fâcher, partir, dire qu’elle est blessée ou qu’elle n’est pas d’accord, mais inévitablement sa première réaction spontanée est de se réfugier dans le silence et la solitude.

Le plus souvent ce qui est visible dans les relations ce sont les réactions défensives, les émotions souffrantes sont refoulées, les peurs ou les besoins ne sont pas exprimés.

Lorsque nous sommes submergés par un mécanisme défensif, nous ne sommes plus libres, nous pouvons agir inconsciemment de manière complètement inadaptée. Par exemple provoquer la rupture dans une relation parce que nous avons peur d’être abandonné par une personne aimée, être paralysé devant quelqu’un qui représente une autorité comme nous l’étions enfant devant tel enseignant, réagir agressivement face à la moindre remarque parce que nous avons peur du jugement, ne pas être capable de rétablir la vérité lorsque nous sommes accusés injustement…

Sortir des mécanismes de défense demande d’en prendre conscience, de les observer sans les juger. Ils nous parlent des peurs et des blessures. Celles-ci sont à accueillir, à entendre, parfois à nommer. Pour des relations plus satisfaisantes il serait préférable d’exprimer ses peurs : « J’ai peur d’être jugé, j’ai peur de ne pas être important pour toi, peur de ne pas être à la hauteur… » plutôt que de porter des jugements sur l’autre ou sur soi.

Les peurs nous informent sur nos besoins. Lorsque nous les repérons, nous pouvons chercher des moyens pour y répondre au mieux ou mettre en place des outils de protection.

Par exemple nous pouvons faire une demande précise qui nous permettrait de nous sentir mieux dans la relation. Nous pouvons expérimenter que demander clairement de l’aide est beaucoup plus efficace que d’attendre que l’autre devine notre besoin en restant dans la frustration et le ressentiment quand il ne le voit pas. Nous aurons davantage de chance d’être entendus si nous disons à un interlocuteur : « Je voudrais te parler, c’est important pour moi ce que j’ai à te dire, j’ai besoin que tu m’écoutes, est-ce possible pour toi ? » au lieu de l’accuser de ne pas savoir écouter et si, celui-ci commence à parler de son expérience ou à donner un conseil, en lui disant notre souhait de terminer.

Nous pouvons aussi vérifier nos interprétations. « Christine vient de terminer un traitement lourd suite à un cancer. Lorsqu’elle rencontre son frère quelques mois plus tard, celui-ci ne demande pas de nouvelles de sa santé. Christine est contrariée, elle pense qu’elle n’est pas importante pour lui, qu’il ne s’intéresse pas à elle ; elle le juge “il ne pense qu’à lui”. Ses pensées augmentent sa souffrance psychique et la coupe de la relation avec son frère. Elle décide de ne plus aller chez lui. Christine aurait pu vérifier ce que vivait son frère en disant par exemple : “Tu ne m’as pas demandé comment j’allais, j’ai peur de ne pas être importante pour toi, estce que je compte pour toi ?” Son frère aurait ainsi l’occasion de dire ce qui se passe pour lui. »

Dans la plus grande majorité des cas, nos interprétations, qui peuvent provenir d’une blessure, ne correspondent pas à la réalité.

Chercher comment nous pouvons prendre soin de ce qui est important pour nous, en sortant de la position de victime et du jugement, va nous aider à répondre à nos besoins et ainsi à réduire nos peurs. C’est par l’observation, la connaissance, l’accueil de nos processus psychiques1 que nous pourrons transformer les comportements qui bloquent une partie de notre énergie, nous empêchent de nous réaliser comme nous le souhaiterions et entravent nos relations. C’est un travail long qui demande parfois une aide thérapeutique mais qui ouvre à la liberté, à davantage de pouvoir sur nos vies et à des relations plus faciles et profondes.


1) Le livre de Colette Portelance, Relation d’aide et amour de soi (Montréal, Éd. du Cram, 2008) peut apporter une aide pour mieux comprendre nos fonctionnements psychiques.


Article écrit par Geneviève Fabre.

Article paru dans le numéro 166 d’Alternatives non-violentes.