Martin Luther King : la peur transcendée

Auteur

Hans Schwab

Année de publication

2013

Cet article est paru dans
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Comment Martin Luther King a-t-il fait face à la peur ? Parfois découragé durant sa lutte pour les droits civiques, il doit affronter de nombreuses menaces de mort. Sa responsabilité face à ceux qu’il mobilise se révèle alors plus forte que la peur. Il va même jusqu’à décider de se débarrasser de l’arme qu’il possède et accepte la probabilité de mourir. Il convainc les manifestants d’adopter une attitude non-violente qui désarme les policiers. Ces derniers restent immobiles face à la foule qui avance vers eux en silence. Finalement, Martin Luther King est mort en ne craignant aucun homme et en mobilisant la non-violence comme instrument de combat.

Recueil de quelques écrits de Martin Luther King où celui-ci raconte comment il est parvenu à surmonter ses peurs 1.

Pendant le boycott des bus à Montgomery (1955 -1956) King recevait de nombreux coups de téléphone et des lettres de menace : « Au fur et à mesure que les semaines s’écoulaient, je commençais à comprendre que nombre des menaces étaient sérieuses. Très vite je me suis senti entamé et envahi par une peur grandissante. Un jour, un ami blanc m’a dit avoir entendu raconter, de source sûre, que l’on projetait de m’ôter la vie. Pour la première fois, j’ai compris que quelque chose pourrait m’arriver. »

Une nuit, après un coup de téléphone (« Écoute, sale nègre, on en a ras le bol de toi. Avant la semaine prochaine tu regretteras d’être venu à Montgomery »), il n’arrive pas à se détendre. Déprimé et désorienté il tourne en rond, pense à sa fille qui vient de naître, à son épouse : « La tête dans les mains, penché au-dessus de la table de cuisine, je me suis mis à prier à voix haute. Les paroles que j’ai adressées à Dieu au milieu de cette nuit-là résonnent encore dans mon esprit : “Seigneur, je suis ici-bas en train de chercher à bien faire. Je fais ce que je pense être juste. Je prends ici position pour ce que je crois juste. Mais, Seigneur, je dois avouer que je me sens faible en ce moment, je sens que je flanche. Je suis en train de perdre courage. Aujourd’hui, j’ai peur.

Et je n’ai pas le droit de le laisser voir aux autres parce que s’ils me voient faible et découragé, ils commenceront à se sentir faibles, eux aussi.

Les gens me demandent de les guider et si je me tiens devant eux sans force et sans courage, ils vont flancher, eux aussi. Je suis à bout. Je n’ai plus de forces. J’en suis au point où je ne peux pas y arriver tout seul.” Il m’a semblé entendre alors une voix intérieure, tranquille et rassurante qui disait : “Martin Luther, dresse-toi pour défendre la vérité. Et voilà, je serai avec toi. Même jusqu’à la fin du monde.” (…) À ce moment-là j’ai senti la présence du Divin comme jamais auparavant. Presque aussitôt mes craintes ont commencé à se dissiper. Mes incertitudes ont disparu. J’étais prêt à tout affronter. »

Trois nuits plus tard une bombe explose sur la véranda de sa maison dans laquelle se trouvaient sa femme Coretta et son bébé. King, sorti pour un rassemblement, en apprenant la nouvelle, reste dans l’incertitude quant au sort des siens. « Assez curieusement, j’ai accueilli l’annonce de l’attentat avec calme. L’expérience religieuse que j’avais traversée, quelques nuits plus tôt, m’avait donné la force d’y faire face. » Il retrouve sa femme et sa fille indemnes : « Coretta n’était ni acerbe ni affolée. Elle avait accepté toute l’affaire avec un sang-froid incroyable. » (pp. 103-106)


Sans arme, sans peur


Comme presque tous les Américains, Martin Luther King possédaient une arme à feu. Pendant cette période d’attentat et de menaces de mort il se pose des questions : « Comment pouvais-je prétendre être l’un des responsables d’un mouvement non-violent et en même temps utiliser des armes à feu pour ma protection personnelle ?

Coretta et moi avons discuté de la question pendant plusieurs jours et finalement nous sommes convenus que les armes ne résoudraient rien. Aussi nous sommes-nous débarrassés de la seule que nous possédions. (…)

J’avais beaucoup plus peur à Montgomery lorsque je possédais une arme à feu dans ma maison. Le jour où j’ai décidé que je ne pouvais pas la conserver, je me suis trouvé face à face avec la question de la mort et je me suis accommodé. À partir de ce moment-là je n’ai plus eu besoin d’une arme à feu et je ne me suis plus senti effrayé. Si nous avions été obsédés par la question de ma sécurité, nous aurions perdu notre esprit d’offensive et nous serions tombés au même niveau que nos oppresseurs. » (p. 109)

 

Lances, crocs, matraques


Lors de la campagne de Birmingham (1963) le mouvement dirigé par King affrontait un adversaire coriace et cynique en la personne du commissaire Connor. Il fait part de « scènes hideuses qui sont désormais inscrites dans la mémoire des Américains. (…) Les journaux du 4 mai ont montré des photographies de femmes tombées à terre au-dessus desquelles se penchaient des policiers qui brandissaient leurs matraques ; des photos d’enfants marchant directement sur les crocs nus des chiens policiers. (…) Notre angoisse était à son comble, mais grâce au courage et à la conviction de ces jeunes et de ces adultes, nous vivions notre heure la plus belle. »

Lors d’une autre manifestation, Connor, furieux, donne l’ordre d’ouvrir les lances à eau. « Ce qui est arrivé pendant les trente secondes qui ont suivi a été l’un des événements les plus fantastiques de l’aventure de Birmingham. Les hommes de Bull Connor sont restés immobiles face aux manifestants. Ceux-ci, dont un grand nombre s’étaient mis à genoux, n’ayant que la force de leurs corps et de leurs âmes à opposer aux chiens policiers, aux matraques et aux lances d’incendie de Connor, les fixaient sans peur et sans mouvement.

Lentement les Noirs se sont redressés et ont commencé d’avancer. Les hommes de Connor, comme s’ils étaient hypnotisés, ont reculé, avec leurs lances d’incendie baissées et inutiles entre leurs mains pendant que plusieurs centaines de Noirs défilaient devant eux, sans rien pour les arrêter, et entamaient leur séance de prières comme prévu. C’est là que j’ai ressenti, pour la première fois, l’orgueil et le pouvoir de la non-violence. » (pp. 254-257)

En juin 1964, lors de la campagne « L’été de la liberté » dans le Mississippi, trois militants sont portés disparus après leur arrestation. Deux mois après leurs corps sont retrouvés. « Alors que je me préparais à visiter le Mississippi, on m’avait dit qu’une sorte de groupe de guérilleros était en train de comploter pour m’ôter la vie pendant ma tournée. On me pressait d’annuler le voyage, mais j’avais conclu que je ne pouvais faire autrement que d’aller au Mississippi, parce que j’avais un travail à y réaliser. Si je m’étais constamment soucié de la mort, je n’aurais pas pu agir. Au bout d’un certain temps, quand votre vie est plus ou moins constamment menacée, vous finissez par accepter avec philosophie l’idée de la mort. » (p. 302)

 

Moïse assassiné


En mars 1968, Martin Luther King arrive à Memphis pour encourager les éboueurs en grève : « On n’obtient rien sans pression. (…) Ne retournez pas au boulot tant que vos revendications ne sont pas satisfaites. » Mais lui-même, en dépit de sa force, subit des contrecoups :

« Contraint de vivre chaque jour sous la menace de la mort, parfois je me sens découragé. Contraint de recevoir tant d’insultes et de critiques, parfois même venant de mon propre peuple, parfois je me sens découragé. »

La veille de son assassinat le 4 avril, il dit lors de sa dernière allocution : « Je suis arrivé à Memphis. Certains commençaient à énumérer ou à commenter les menaces qui circulaient. Et ce que voulaient mes frères blancs dont l’âme était malade. Eh bien, je ne sais pas ce qui va arriver maintenant. Nous avons devant nous des journées difficiles. Mais peu m’importe ce qui va m’arriver maintenant, car je suis allé jusqu’au sommet de la montagne. Je ne m’inquiète plus. Comme tout le monde, je voudrais vivre longtemps. La longévité a son prix. Mais je ne m’en soucie guère maintenant. Je veux simplement que la volonté de Dieu soit faite. Et il m’a permis d’atteindre le sommet de la montagne. J’ai regardé autour de moi. Et j’ai vu la terre promise. Il se peut que je n’y pénètre pas avec vous. Mais je veux vous faire savoir, ce soir, que notre peuple atteindra la Terre promise. Ainsi je suis heureux, ce soir. Je ne m’inquiète de rien. Je ne crains aucun homme. » (pp. 423-435)


 

1) Les citations proviennent de : Martin Luther King, Autobiographie, Bayard, 2000 ; King n’ayant pas écrit d’autobiographie, ce sont ses textes réunis par Clayborne Carson et authentifiés par Coretta Scott King en 1998.


Article écrit par Hans Schwab.

Article paru dans le numéro 166 d’Alternatives non-violentes.